Le 23 janvier dernier, des soldats dirigés par le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba ont pris le contrôle d’une base militaire à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Quelques heures plus tard, le président Roch Kaboré était aux mains des putschistes. Le lendemain, l’armée annonçait à la télévision que Kaboré avait été démis de ses fonctions, que le Parlement était dissous et que la constitution était suspendue.
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Le lieutenant-colonel Damiba a justifié son coup d’Etat par l’impuissance de Kaboré face à l’insurrection islamiste qui ravage le nord-est du pays. Mais les militaires voulaient aussi – et surtout – enrayer la fermentation révolutionnaire qui se développe dans la société.
En octobre 2014, un mouvement révolutionnaire de masse a renversé le dictateur Blaise Compaoré, qui était au pouvoir depuis 1987. Puis, en 2015, les masses se sont de nouveau mobilisées pour faire échec à une tentative de coup d’Etat contre-révolutionnaire organisée par des partisans de Compaoré. Après ces épisodes, la situation sociale est restée explosive.
Au cours des mois qui ont précédé son renversement, le gouvernement de Kaboré a été confronté à des manifestations de plus en plus importantes. Celles-ci ne visaient pas seulement l’impuissance du pouvoir face aux attaques terroristes, mais aussi la corruption du régime et une situation économique désastreuse. La possibilité d’un renversement révolutionnaire du régime était réelle. L’armée est donc intervenue pour couper l’herbe sous le pied des manifestants – et tenter de reprendre le contrôle de la situation.
Chaos impérialiste
Pour comprendre la situation actuelle, dans le pays, il faut remonter à l’intervention de l’OTAN en Libye, en 2011. Sous prétexte de renverser la dictature de Kadhafi, cette agression impérialiste visait à enrayer la vague révolutionnaire du « Printemps arabe » de 2010-2011. Loin de stabiliser la région, elle y a semé le chaos. La Libye est aujourd’hui aux mains de milices islamistes qui se livrent à d’innombrables atrocités, y compris la traite d’esclaves.
Dans le même temps, la chute de Kadhafi a nourri l’insurrection islamiste dans le Sahel, en lui fournissant une base arrière, des armes et des combattants endurcis dans la guerre civile libyenne. A partir de 2013, les djihadistes ont étendu leur zone d’influence depuis le nord du Mali vers le sud et l’ouest du Niger, mais aussi le nord et l’est du Burkina Faso. Ils ont profité de la crise économique et des tensions qu’elle suscitait, entre les communautés rurales de ces régions, pour recruter des centaines de combattants.
En 2013, la France est intervenue pour tenter de reprendre le contrôle de la situation en déployant des milliers de soldats et en appuyant les armées de la région. Sans succès : différentes sources estiment que, dans trois pays du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger), le nombre d’attaques terroristes a quintuplé entre 2016 et aujourd’hui.
Cette crise a aussi généré une catastrophe humanitaire : sur les 20 millions d’habitants que compte le Burkina Faso, 1,5 million ont été déplacés à cause de l’insurrection islamiste. Pour toutes ces raisons, mais aussi à cause des nombreux crimes commis par les troupes impérialistes et leurs séides locaux, l’intervention française est largement impopulaire dans la région.
Le coup d’Etat du 23 janvier dernier, au Burkina Faso, est similaire à celui d’août 2020 au Mali – et à celui de septembre 2021 en Guinée. Dans les trois cas, l’armée est intervenue pour éviter que la colère des masses ne fasse chuter un gouvernement impopulaire. L’intervention des militaires a été facilitée par l’absence d’opposition cohérente au gouvernement, capable de proposer aux masses un programme et une politique réellement différents de ceux menés par ces régimes en crise.
Au Mali et au Burkina, les coups d’Etat visaient aussi à sauver l’armée elle-même. En effet, les soldats doivent combattre l’insurrection islamiste sans équipements adéquats ni stratégie pertinente. Ils subissent des offensives meurtrières sans pouvoir riposter efficacement. Au Burkina Faso, en novembre, une attaque djihadiste contre une garnison isolée a fait 32 morts. La colère grondait dans les rangs et menaçait de faire imploser l’armée elle-même.
Potentiel révolutionnaire
Le soulèvement d’octobre 2014 a été un tournant dans l’histoire du Burkina Faso. Après avoir vécu sous la botte de Compaoré pendant 27 ans, les masses sont entrées en action et ont renversé sa dictature. Par leur lutte, elles ont obtenu d’importantes concessions économiques, gagné un certain nombre de droits démocratiques et renoué avec l’histoire révolutionnaire du pays, notamment autour de la figure de Thomas Sankara.
Cependant, contrairement à Sankara en son temps, les militaires rebelles du Burkina d’aujourd’hui ne s’opposent ni à l’impérialisme, ni au capitalisme. Ils n’ont par conséquent aucune solution à offrir contre la misère, la corruption – ou contre l’insurrection islamiste, qui se nourrit précisément de ces maux.
Le potentiel révolutionnaire des masses de la région est immense. Ce n’est qu’en s’appuyant sur leurs propres forces qu’elles pourront balayer les régimes corrompus, les groupes terroristes et les impérialistes qui ravagent la région.