A peine un mois après le spectacle pompeux du XXe congrès du Parti Communiste Chinois, la colère qui fermentait dans les profondeurs de la société chinoise est en train de faire irruption à la surface. Le 23 novembre, l’usine géante de Foxconn située à Zhengzhou dans le Henan a été le théâtre d’un violent affrontement entre la police et des ouvriers qui protestaient contre le détournement de leurs salaires. Dans les jours qui ont suivi, des manifestations massives ont éclaté dans de nombreuses villes, pour protester contre les mesures draconiennes de confinement du régime. Celles-ci cristallisent tout le mécontentement accumulé dans la société chinoise. Comme nous l’avions prédit, la crise profonde du capitalisme chinois a commencé à pousser les masses dans la lutte.
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Combat chez Foxconn
Les travailleurs de l’usine Foxconn ont été les premiers à se mettre en mouvement. Cette usine géante compte près de 130 000 ouvriers logés directement dans les locaux. Son propriétaire, l’entreprise taïwanaise Foxconn, assemble près de 70 % des iPhone produits dans le monde.
Cette usine a été gratifiée du titre d’« avant-garde ouvrière » l’année dernière par la fédération syndicale affiliée au régime. Elle est en réalité un enfer d’exploitation pour ses travailleurs. Fin octobre, des dizaines de milliers de travailleurs avaient déjà fui les lieux de peur d’y être confinés après l’apparition d’un foyer de COVID. Pour faire des économies, la direction avait en effet renoncé à faire appliquer des mesures sanitaires, mais s’apprêtait à enfermer les travailleurs dans l’usine. Après ce premier coup de semonce, l’émeute du 23 a été provoquée par le vol pur et simple d’une partie des salaires des ouvriers.
Ceux-ci avaient en effet signé des contrats promettant une prime mensuelle de 30 000 yuans payables dès le premier mois de travail. Ils se sont très vite rendu compte que ces primes ne leur seraient pas versées pour le premier mois. Cela a suscité la colère de nombreux travailleurs, qui comptaient sur ces primes pour les fêtes du Nouvel An lunaire.
Le 22 novembre, des ouvriers se sont rassemblés pour protester contre ce vol pur et simple. Ils ont été la cible d’une violente répression de la part des vigiles de l’entreprise, auxquels ils ont opposé une vaillante résistance. Le personnel de sécurité de Foxconn ayant été débordé, les autorités locales du PCC ont envoyé la police réprimer la mobilisation. Mais celle-ci était d’une telle ampleur que le gouvernement provincial du Henan a dû dépêcher en urgence des renforts de police depuis les villes voisines de Luoyang, Kaifeng, Zhumadian et Xuchang.
Cela n’a pas suffi à écraser la révolte. Les combats de rue entre la police et les ouvriers se sont étendus à l’ensemble de l’usine, malgré l’envoi de nouveaux renforts de police. La direction a finalement dû capituler et a promis de payer 10 000 yuans à tout travailleur qui accepterait de quitter l’usine immédiatement.
Les informations sur cette lutte se sont rapidement diffusées dans le pays. La lutte des travailleurs de Foxconn était une démonstration qu’il était possible de lutter, de s’opposer au régime, et d’obtenir des concessions. Cela a servi d’inspiration à toute une couche des masses chinoises, qui sont descendues dans les rues pour protester contre les mesures draconiennes de confinement.
Soulèvement contre les confinements
Dans un premier temps, les mesures strictes de confinement mises en place par le PCC ont permis de contenir le COVID bien mieux que dans les pays occidentaux. Mais, comme nous l’avons déjà expliqué dans de précédents articles, maintenir une stratégie « Zéro COVID » dans un seul pays n’est pas tenable. La Chine ne peut pas se couper du reste du monde et l’apparition de nouveaux variants du virus rend inévitable l’éclosion de nouveaux foyers.
Les masses chinoises ont dû payer au prix fort les mesures de confinement contre le COVID. Celles-ci ont lourdement perturbé leurs vies quotidiennes et conduit à de nombreuses pertes d’emploi. Le régime a de plus maintenu ces mesures bien plus longtemps que la plupart des autres pays. Il tente aujourd’hui de changer son fusil d’épaule, mais le caractère bureaucratique du régime signifie que ce changement ne peut que faire peser plus de souffrances sur les masses.
Après le XXe congrès du PCC, le régime a réduit les quarantaines appliquées aux étrangers à 5 jours au lieu de 7. Mais il a néanmoins continué à demander aux bureaucrates locaux d’appliquer strictement les règles des politiques « Zéro COVID ».
Au fur et à mesure que les restrictions de déplacement étaient levées, les cas de COVID ont naturellement recommencé à augmenter. Sous pression du pouvoir central, les bureaucrates locaux ont répondu à ces nouveaux foyers par une multiplication frénétique de confinements localisés aux règles particulièrement draconiennes. La bureaucratie espérait que les masses se plieraient à ses diktats sans réagir, mais celles-ci étaient déjà à bout. Quelque chose devait inévitablement casser… et c’est ce qui s’est produit.
A Urumqi, la capitale provinciale du Xinjiang, un incendie dans un immeuble d’habitation a causé au moins 10 morts (certains rapports affirment qu’il y aurait eu en réalité près de 44 victimes). Cette catastrophe a été le catalyseur d’un déferlement de colère. Beaucoup ont en effet pointé du doigt les strictes mesures de confinement imposées dans le quartier, qui auraient lourdement compliqué les opérations de sauvetage et causé de nombreux morts supplémentaires.
C’en était trop pour les masses, qui sont rapidement passées de plaintes sur les réseaux sociaux à des manifestations d’ampleur. Comme lors de nombreuses mobilisations précédentes, les manifestations ont été initiées par quelques individus en colère, qui ont pris un grand risque personnel en défiant les autorités. Leur exemple a entraîné des masses gigantesques. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues, défiant toutes les mesures de confinement, et marchant jusqu’à la mairie d’Urumqi.
Le déferlement de colère sur Internet a pris de telles proportions que le strict système de censure mis en place par le régime a été complètement débordé. Partout, des failles sont apparues et, en quelques jours, des rassemblements de solidarité et des manifestations spontanées se sont répandus dans de nombreuses grandes villes à travers tout le pays : Nanjing, Chongqing, Chengdu, Shanghai, Guangzhou, Wuhan, et Pékin.
La jeunesse a été à la pointe de ces mobilisations. Des mobilisations étudiantes massives ont eu lieu dans 79 universités, situées dans 15 provinces (sur 23). A Nanjing, des rassemblements nocturnes ont été organisés par les élèves de l’Ecole supérieure de journalisme, en violation de toutes les mesures de confinement. Les étudiants ont chanté l’hymne national et l’Internationale. Des rassemblements similaires se seraient aussi produits à Pékin et dans d’autres universités.
En dehors des universités, des citoyens ordinaires ont aussi manifesté. A Pékin, l’Internationale a été chantée par les manifestants durant une bonne partie de la nuit. A Shanghai, une foule s’est rassemblée dans une rue portant le nom de la ville d’Urumqi, avant d’être dispersée par la répression policière. Les arrestations n’ont pas eu l’effet escompté et ce rassemblement illégal s’est reproduit le lendemain.
La situation évolue rapidement, mais cette mobilisation est d’ores et déjà la plus importante qu’ait connue le pays depuis trois décennies.
La rébellion est dans l’air
Les marxistes soutiennent pleinement la lutte des masses contre les mesures draconiennes de confinement. Au final, celles-ci visent avant tout à maintenir le pouvoir dictatorial de la bureaucratie. C’est d’autant plus vrai que Xi Jinping a joué une bonne partie de sa réputation et de son autorité politique sur le succès des mesures de confinement.
Le régime est aussi mis en difficulté par la plus faible efficacité du vaccin « Sinovac » par rapport aux vaccins occidentaux. Cela est dû en grande partie au protectionnisme des puissances occidentales, qui ont refusé de partager la technologie du mRNA, mais le régime a encore aggravé la situation en refusant d’acheter des vaccins efficaces en Occident pour des considérations de prestige.
Mais le prestige et l’autorité du régime se disloquent. Les gens ont subi autant qu’ils le pouvaient sans que le COVID ne soit éliminé. Alors que les grandes entreprises ont bénéficié de nombreuses réductions fiscales et de subventions massives, les gens ordinaires n’arrivent plus à acheter de la viande et ont parfois du mal à trouver à manger durant les confinements.
Même si le régime se prétend « communiste », il n’y a pas trace de communisme en Chine. Les travailleurs n’ont aucun contrôle sur leurs entreprises, ni sur la société en général. Cette absence de contrôle de la base a mené à une accumulation de contradictions et de maladresses de la part de la bureaucratie et, en conséquence, à des souffrances supplémentaires pour les masses.
S’il existait en Chine une véritable démocratie ouvrière, la lutte contre la pandémie aurait bénéficié de l’investissement direct des masses. Cela aurait permis de minimiser les contaminations et de vacciner massivement tout en garantissant les emplois, les salaires et l’accès aux produits de première nécessité. Les gens ordinaires auraient eu accès à toutes les informations nécessaires et auraient été associés à l’effort collectif de défense de la santé publique. Au lieu de cela, on a assisté à une avalanche frénétique de mesures coûteuses et hasardeuses imposées à la population par la bureaucratie.
Aucune confiance dans les libéraux !
Arrivé à ce point, nous voudrions formuler un avertissement pour le mouvement. Pour l’instant, il ne semble pas que des éléments libéraux-bourgeois tentent d’intervenir dans le mouvement, mais cela peut changer. Le mouvement doit les rejeter avec vigueur, ainsi que tous ceux qui proposent d’appeler les puissances occidentales à l’aide. C’est précisément cette erreur qui a mené le mouvement de 2019 à Hong-Kong à la défaite. Il est probable que les gouvernements occidentaux apportent une « solidarité » hypocrite à ce mouvement « pour la démocratie », mais ces tentatives d’approche doivent être repoussées énergétiquement. L’impérialisme occidental n’est pas du côté des travailleurs chinois. Il ne cherche qu’à affaiblir la Chine, principal concurrent des Etats-Unis sur la scène mondiale, pour défendre ses propres intérêts impérialistes.
Nous devons aussi ne nourrir aucune illusion dans la capacité du PCC à se réformer. Le régime peut être contraint à des concessions, mais cela ne sera pour lui qu’une manœuvre visant à gagner du temps et à désarmer le mouvement, pour pouvoir ensuite réprimer tous ceux qui auront été à la pointe des mobilisations. L’idée qu’une évolution vers un véritable socialisme puisse être possible dans le cadre du régime doit être absolument exclue.
Pour l’instant, la majorité des rassemblements avancent des mots d’ordre qui se concentrent sur la fin des confinements, ou sur leur « humanisation ». Les appels à la chute du régime ou de Xi Jinping, ou les revendications libérales sur la liberté de la presse par exemple, restent très minoritaires. Si le régime choisit de réprimer férocement ces mobilisations, toute une génération de jeunes et de travailleurs sera forcée d’en tirer des leçons.
La répression tout comme le recours à des concessions sont des solutions risquées pour le régime. S’il est contraint d’offrir des concessions, cela serait une preuve qu’il n’est pas aussi tout-puissant qu’il le prétend et cela pourrait donner confiance aux masses pour réclamer plus. La répression, quant à elle, pourrait rajouter de l’huile sur le feu et provoquer de nouvelles couches de la population à passer à l’action.
Quelle que soit la façon dont évolue le mouvement, les couches les plus avancées de la jeunesse et de la classe ouvrière en tireront la leçon que des réformes démocratiques ne suffiront pas à régler les problèmes auxquels elles font face. La seule voie possible se trouve dans le renversement du régime du PCC et l’établissement d’une véritable démocratie ouvrière socialiste.
Le mouvement ne peut pas espérer que le régime reconnaisse sa défaite. Xi Jinping a concentré tous les pouvoirs et entend bien les garder. Il finira forcément par riposter aux mobilisations. Des arrestations et même parfois de véritables rafles de militants sont d’ores et déjà signalées dans certaines villes.
Ce mouvement n’en a pas moins relâché à l’air libre une somme de colère accumulée dans la masse des travailleurs et des jeunes. L’appareil de répression et de censure permettait au régime de projeter une image de stabilité et de solidité… jusqu’à ce que tout rejaillisse à la surface. L’instabilité apparaît clairement et une différenciation de classe se développe, sur la base des inégalités nourries par des décennies de développement capitaliste.
Tant que la transition capitaliste semblait fonctionner – et créer des emplois, développer la société et les forces productives – les masses pouvaient sentir que, malgré les inégalités croissantes, la situation s’améliorait, que l’on vivait mieux qu’avant et elles pensaient que cela allait continuer. Mais ce processus a atteint ses limites.
La croissance à deux chiffres appartient au passé. Toutes les contradictions du capitalisme poussent aujourd’hui les masses sur la voie de la lutte des classes. Mais les 40 dernières années de transition et de développement du capitalisme ont produit la plus grande classe ouvrière de la planète, forte de centaines de millions de travailleurs. Cette force gigantesque commence à s’éveiller. Les bureaucrates du PCC, tout comme les capitalistes chinois ou étrangers, ont de bonnes raisons de trembler.