Soudainement, sans aucun avertissement, un chanson de rap est apparue sur les réseaux sociaux. Produite par trois jeunes hommes, dont on ignorait tout jusqu’à ce moment, elle a récolté des millions de vues en un temps record.
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Cette chanson a pour titre « Longue vie au peuple », en référence à un slogan de la jeunesse révolutionnaire (scandé en particulier lors du mouvement du 20 février) et dirigé contre le slogan monarchiste « longue vie au roi ». La vidéo a atteint le haut de la liste des clips marocains les plus vus sur YouTube. Ce résultat est sans précédent pour une chanson d’agitation politique : les premières places sont d’habitude occupées par des niaiseries pop.
Cette chanson est celle de trois jeunes hommes (Gnaoui, Ould el-griya et Lezaar) des marges de la société, originaires de quartiers pauvres, et qui portent sur eux toutes les cicatrices physiques et psychologiques de leur parcours. Ces trois jeunes gens – avec leurs habits, coupe de cheveux et langage – représentent la majorité des Marocains jeunes et pauvres. Ils indiquent parler au nom de tous les opprimés et des couches populaires : ceux qui se sont battus pour l’indépendance et n’en voient toujours pas les résultats, les mères des enfants qui sont morts en mer en essayant d’émigrer, les opprimés, les diplômés chômeurs, les prisonniers politiques, etc.
Ils chantent : « longue vie au peuple et longue vie aux opprimés. Maman, je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas je parle. » La chanson se poursuit, relatant les expériences tragiques vécues quotidiennement par la jeunesse en matière de pauvreté, d’injustice et de chômage. Ce n’est pas un hasard si des millions de jeunes considèrent ces trois artistes comme leurs représentants légitimes.
Cette chanson de 5 minutes secoue les stéréotypes propagés par les médias marocains selon lesquels les chanteurs de rap seraient des rebelles de la classe moyenne, gâtés, armés d’instruments de musique offerts en cadeau par leurs parents pour leur anniversaire, qui utiliseraient leur renommée pour critiquer le patriarcat, insulter les masses ignorantes « qui ne méritent pas les sacrifices des rappeurs » ou menacer des amantes infidèles.
Ce chant également de la tradition des chansons protestataires qui se sont limitées à critiquer la police et les commandants locaux en adressant des avertissements à « sa Majesté » au sujet de ses conseillers malveillants. Les messages bruts de cette nouvelle chanson frappent comme des coups de poing : sans même se préoccuper du gouvernement, les artistes tournent leur colère directement contre le roi Mohammed VI avec des paroles comme « Celui qui est censé nous protéger est celui qui nous pille ». La chanson utilise des jeux de mots pour déformer le titre « Chef des croyants » (utilisé par les monarchistes pour parler du roi) en « chef des addicts », en référence à l’implication de Mohammed VI dans les trafics internationaux de drogue et à ses propres addictions aux drogues et à l’alcool.
La chanson se réfère également aux chants de la jeunesse marocaines dans les stades de foot, comme la chanson « Ils m’oppriment dans mon pays » (chantée par les fans du Raja de Casablanca), « Ce pays est une humiliation » (chantée par les supporteurs de l’Union de Tanger) ou « Oppression et obscurité » (par les ultras de l’Armée Noire), ainsi que des douzaines d’autres chants qui expriment la colère et le défi, avec un désir de liberté, de dignité et de justice sociale.
Le succès de cette chanson a provoqué une vague de peur parmi les services de sécurité, chez les différents défenseurs du régime et les journalistes à sa solde. Avec des niveaux absurdes de confusion, ils ont réagi en faisant arrêter un des trois chanteurs (Gnaoui), avant d’essayer d’arrêter les deux autres, qui se sont alors cachés. Mais face à l’écrasante solidarité du public avec le groupe, face à des milliers de jeunes gens chantant « Longue vie au peuple » dans les stades, les autorités ont fait marche arrière et ont annoncé qu’elles arrêtaient de chercher les deux autres chanteurs et que l’arrestation de Gnaoui n’avait rien à voir avec « Longue vie au peuple » mais avec des accusations d’ « insultes envers une institution » : la police !
Les mercenaires de la presse « indépendante » ont reçu pour ordre de déformer l’image de ces trois jeunes hommes, en les accusant d’être des crapules, des ivrognes, etc. Malheureusement pour le régime, cette campagne de diffamation n’a fait que renforcer la popularité de la chanson.
La réaction du gouvernement a été ridicule. Le ministre des Droits humains, Mustafa Al-Ramid, a déclaré que les paroles étaient « révoltantes, provocantes et insultaient les institutions de l’Etat ». Le porte-parole Hassan Abiaba a indiqué que le gouvernement avait décidé « d’interdire toutes les activités artistiques qui impliquent des chansons de rap » (seulement les chansons révolutionnaires, les autres sont évidemment autorisées). Nous sommes très curieux de voir comment l’esclave de sa majesté va faire taire les chansons qui ont perturbé la paix royale de son maître !
La classe dirigeante et son Etat ne peuvent pas voir les causes réelles du malaise de la société ; ils l’interprètent donc comme un complot, qui peut être contenu ou éliminé par la répression et l’emprisonnement.
Ils ne sont pas forcément stupides (bien que ce soit le cas pour nombre d’entre eux), mais leur vision de la réalité est façonnée par leur position de classe. Ils estiment que leur système et leur monde sont les meilleurs possibles. Comment pourrait-il en être autrement, alors qu’ils jouissent de tout ce qu’ils veulent, et même plus encore ? En attendant, la pauvreté, le chômage et l’oppression sont normaux, naturels. Les plus pieux d’entre eux voient dans la situation une « volonté divine » ; les plus laïques la considèrent comme le produit de lois objectives et éternelles.
La classe dirigeante rend souvent la population responsable de sa propre misère. Les chômeurs et les pauvres le sont à cause de leur fainéantise et de leur stupidité. Elle ne voit donc dans les chants des supporteurs de foot que des « émeutes éhontées » et un « manque de décence ». Elle prend « Longue vie au peuple » pour l’hymne de « la racaille et des ivrognes ».
Mais la popularité de cette chanson trouve son explication dans les conditions de vie très difficiles de la majorité des jeunes Marocains, qui endurent chômage, pauvreté, marginalisation et répression. Cette situation a été confirmée par le Haut Commissariat au Plan lui-même : 685 000 jeunes marocains entre 15 et 24 ans (environ 25% de cette tranche d’âge) sont au chômage, sans formation et sans éducation. Un rapport de l’ONU 2 va dans le même sens : 60% des Marocains vivent dans la pauvreté et la marginalisation, ce qui fait du pays l’un des plus pauvres d’Afrique avec le Zimbabwe, le Mali, la Somalie et le Gabon.
Ces millions de pauvres, de jeunes, privés des droits les plus élémentaires, sont en colère et veulent un changement immédiat. Quand ils ne trouvent pas de voie pour exprimer ce souhait, ils se détruisent dans la drogue, montent dans des cercueils flottants dans des tentatives désespérées de rejoindre l’étranger, ou se suicident.
Cependant, nombreux sont ceux qui continuent de chercher une autre issue et reçoivent tout message franc et sincère avec un grand enthousiasme. Même si le régime supprime ces trois jeunes rappeurs, les force au silence ou les pousse à émigrer (comme ce fut le cas pour l’artiste El haked, « le vindicatif »), de nombreux slogans, chansons et d’autres formes de protestation verront le jour, exprimant le profond malaise qui bout sous la surface, n’attendant que l’opportunité d’exploser sous la forme d’un grand mouvement révolutionnaire de la jeunesse.
« Longue vie au peuple » est la preuve que le bouillonnement chez les jeunes approche une intensité révolutionnaire. La révolution marocaine arrive et il faut se préparer à cette perspective. Les demandes des jeunes – une éducation correcte, un travail décent, la liberté et de bonnes conditions de vie – sont révolutionnaires car le capitalisme et la dictature ne peuvent y répondre.
Ce système capitaliste dictatorial en faillite n’a rien à offrir aux millions de jeunes si ce n’est la pauvreté, le chômage et l’oppression. Cela veut dire que la jeunesse est une véritable base pour la gauche révolutionnaire, et donc que nous devons diffuser nos slogans, notre programme et nos efforts dans tous endroits où la jeunesse vit (les quartiers pauvres, les universités, les lieux de travail), et la convaincre que seul un programme des travailleurs – un programme socialiste et révolutionnaire – pourra éradiquer les racines de la pauvreté, du chômage et de l’exclusion sociale et construire un Maroc fondé sur la liberté, la dignité et la justice sociale.
Longue vie au peuple !
A bas le système capitaliste dictatorial !
Pour un Maroc socialiste libre et démocratique !