Fin janvier 2021, l’arrestation d’Alexei Navalny – un blogueur et un opposant libéral au régime de Poutine – a déclenché des manifestations d’une ampleur inédite, en Russie, depuis des décennies. Le 31 janvier, 5754 manifestants ont été arrêtés, ce qui donne une idée de l’ampleur de la mobilisation, qui a secoué de nombreuses villes – petites et grandes – du pays.
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Depuis 2018, la popularité de Navalny avait baissé. Mais elle a rebondi à la fin de l’année 2020, suite à la tentative d’empoisonnement dont il a été victime – et dont le régime de Poutine est évidemment responsable. Par ailleurs, l’équipe de Navalny a récemment rendu public un documentaire révélant qu’un oligarque avait offert à Poutine un gigantesque palais, en guise de pot-de-vin. Début février, le documentaire avait été visionné plus de 100 millions de fois. Le coup porté au prestige du régime est très fort. Pour la grande majorité des Russes, Vladimir Poutine est devenu « Poutine le voleur ».
Les grandes manifestations de la fin du mois de janvier répondaient à l’arrestation et à la condamnation de Navalny – mais aussi, plus largement, à la vague de répression politique que connaît la Russie depuis quelques années. Des militants de gauche ont été arrêtés et condamnés à des années de prison, sans la moindre preuve. Souvent, leur seul « crime » est d’avoir participé à des manifestations.
Crise sociale
En dernière analyse, cette situation sociale explosive est le fruit de la profonde crise économique et sociale qui frappe la Russie. Le chômage touche désormais cinq millions de personnes. Vingt millions de Russes vivent sous le seuil de pauvreté, soit 13,5 % de la population. Le pouvoir d’achat a chuté de 8,4 %, en moyenne, au dernier trimestre 2020 : du jamais vu depuis les années 90. Pendant ce temps, au sommet de la société, les oligarques continuent de s’enrichir. En 2020, les plus grandes fortunes du pays ont accumulé 1,5 milliard de dollars supplémentaires.
Le développement des inégalités sociales s’accompagne, comme son ombre, d’un renforcement de l’appareil répressif du régime, qui est déjà monstrueux. Pour 2021, le budget total de la « sécurité nationale » s’élève à 5820 milliards de roubles (76 milliards de dollars). L’armée, la Garde Nationale, le Ministère de l’Intérieur et les diverses agences de sécurité – officielles ou officieuses – vont engloutir 27 % des dépenses publiques ! Inutile de dire que ces dépenses seront compensées par des coupes franches dans les budgets de l’Education publique, de la Santé publique et des systèmes d’allocations sociales. Dans le même temps, les impôts vont augmenter – sauf pour les plus riches.
Le PCFR et les manifestations
C’est cette crise générale qui a débouché sur les manifestations de janvier. Dans ce contexte, le Parti Communiste de la Fédération de Russie (PCFR) aurait pu et dû y intervenir énergiquement – sans soutenir Navalny, bien sûr, mais pour orienter la colère des manifestants contre les oligarques et la politique pro-capitaliste du gouvernement. Malheureusement, la direction du PCFR n’a rien fait de tel. Elle s’est tenue à l’écart du mouvement. Pire : elle l’a condamné, sous prétexte que Navalny est un politicien libéral et réactionnaire (ce qui est exact). Très opportuniste et corrompue, la direction du PCFR tient plus que tout au soutien financier dont elle bénéficie, de la part du régime. Résultat : ce sont surtout les démagogues de droite qui profitent de la contestation croissante, dans le pays. Navalny peut maintenant, de nouveau, se poser en « chef » de l’opposition à Poutine.
Ceci dit, la direction du PCFR est confrontée à une opposition interne croissante (qu’elle s’efforce, en vain, de combattre à coup d’exclusions). Une fraction significative de la base du parti s’efforce de le pousser vers la gauche, ce qui pourrait aboutir à une scission, à un certain stade. Dans de nombreuses villes et régions de Russie, des militants et des organisations du PCFR ont participé aux manifestations de janvier. Certains ont même revendiqué publiquement leur participation, défiant la direction de leur parti.
La TMI en Russie
Il est évident qu’aucune organisation de gauche sérieuse ne peut soutenir le programme politique et économique de Navalny – qui, par exemple, veut relancer les privatisations entamées sous l’égide du FMI, dans les années 90. Par contre, il est du devoir des révolutionnaires de soutenir et d’accompagner la lutte de la jeunesse et des travailleurs russes pour les droits démocratiques, tout en soulignant que les libéraux du genre de Navalny sont incapables de régler les problèmes de la classe ouvrière russe, puisqu’ils en sont des adversaires patentés.
C’est ce qu’a fait le Parti Ouvrier Révolutionnaire (POR), section russe de la Tendance Marxiste Internationale, qui est présente et active dans de nombreuses villes du pays et se développe rapidement, ces derniers mois. Le POR est intervenu sur les manifestations avec des mots d’ordre liant la lutte pour les droits démocratiques à la lutte contre le pouvoir des oligarques, contre le capitalisme russe – et pour une nouvelle révolution socialiste en Russie.