Cet article a d’abord été publié en allemand par les camarades de Der Funke, la section autrichienne de la Tendance marxiste internationale. Nous présentons ici une traduction en français sur cette question importante de la théorie queer. Est-elle compatible avec le marxisme? Peut-il y avoir une telle chose comme du « marxisme queer »? Yola Kipcak de Vienne répond par la négative et nous explique pourquoi.
L’oppression et la discrimination font partie intégrante du système dominant dans lequel nous vivons, ce qui inclut la persécution et la stigmatisation systématiques des sexualités et des identités qui ne sont pas conformes à la soi-disant « norme ». En tant que marxistes, nous luttons avec acharnement contre toute forme de sexisme, de discrimination et d’oppression. Cependant, nous devons également nous pencher sérieusement sur la question de savoir comment surmonter les conditions barbares actuelles et comment garantir la libre expression de tous les humains, ce qui exige d’examiner les théories et les méthodes permettant d’atteindre ces objectifs.
Dans cet article, nous traiterons d’un courant particulier de la théorie féministe et gaie qui a gagné en popularité surtout dans les années 1990. Elle a depuis gagné une certaine influence, surtout dans les universités, mais aussi dans certaines sections des organisations ouvrières, qui ont adopté les « idées queer ». Nous proposons donc d’examiner de plus près ce qui se cache derrière la théorie dite « queer » et de se pencher sur ce que devrait être la position marxiste à son égard.
Qu’est-ce que la théorie queer?
La théorie queer est apparue principalement aux États-Unis dans les années 1990 dans les cercles universitaires, en particulier ceux s’intéressant aux études gaies et lesbiennes, et dans un contexte d’activisme autour de la crise du VIH/SIDA. À l’origine une insulte envers les homosexuels, le terme « queer » a été réapproprié par le mouvement gai qui lui a donné une tournure positive. La théorie queer utilise ce terme et traite de ce qu’elle considère comme des ruptures dans le lien entre le sexe biologique, l’identité de genre et le désir sexuel – par exemple, la transidentité, l’homosexualité, la bisexualité, les fétiches, etc. – en bref, des identités ou des préférences qui sont considérées comme étant « divergentes » par rapport à la norme.
La théorie queer est centrée sur la question de l’identité individuelle, en particulier l’identité sexuelle, le genre et l’orientation sexuelle. La sexualité est considérée comme cruciale pour comprendre l’ensemble de la société. La critique littéraire queer Eve Kosofsky Sedgwick va jusqu’à écrire : « Il n’y a pratiquement aucun aspect de la culture occidentale moderne dont la compréhension ne soit forcément non seulement incomplète, mais déficiente dans sa substance, si elle n’incorpore pas une analyse critique de la définition homo-hétérosexuelle moderne. » (Épistémologie du placard, p. 1) Selon ses propres termes, la théorie queer explore « la manière dont la sexualité est réglementée et dont la sexualité influence et structure d’autres domaines sociaux tels que les politiques de l’État et les formes culturelles. Sa principale préoccupation est de priver la sexualité de son apparente naturalité et de la rendre visible comme un produit culturel entièrement imprégné de relations de pouvoir » (Jagose, p. 11).
Cependant, la théorie queer n’est pas une véritable théorie unifiée et cohérente, car elle reste délibérément extrêmement vague et « diverse », et ne prétend pas avoir de définitions communes. Cela a comme conséquence de faire taire toute critique avec l’argument que « pour ma part, je vois cela d’une manière complètement différente » – ce qu’Annamarie Jagose, une universitaire féministe qui a écrit un livre d’introduction renommé sur la théorie queer, admet elle-même. À propos du terme « queer », elle écrit : « Son imprécision protège le terme queer de critiques telles que l’accusation de tendre à l’exclusion qui est parfois portée aux termes “lesbienne” et “gai” en tant que catégories identitaires. » (Jagose, p. 100.)
Pourtant, il serait erroné d’imaginer qu’il n’y a pas de terrain d’entente dans les points de vue des défenseurs de la théorie queer. La théorie queer s’appuie sur certaines prémisses philosophiques qui conduisent nécessairement à une certaine compréhension du monde dans lequel nous vivons et de la manière dont nous pouvons le changer.
Les principales prémisses de la théorie queer, que nous examinerons de plus près ci-dessous, sont les suivantes : notre identité (de genre) n’est rien d’autre qu’une fiction. Par conséquent, l’hétéro et l’homosexualité sont également une fiction culturelle. Cette fiction est produite par les discours et le pouvoir dans la société. Nous devons découvrir comment ces discours fonctionnent afin de mieux les caricaturer pour en exposer les contradictions.
Une crise de l’identité
Ce n’est pas par hasard que la théorie queer a gagné en popularité dans les années 1990. Deux décennies plus tôt, autour de l’année mouvementée de 1968 et des années suivantes, le monde a connu de nombreux mouvements révolutionnaires tels que la grève générale de mai 1968 en France, l’automne chaud de 1969 en Italie, le Printemps de Prague de 1968 en Tchécoslovaquie, le mouvement des droits civiques aux États-Unis et bien d’autres encore.
Avec la nouvelle vague de lutte des classes, le mouvement des femmes a également connu un nouvel essor. Il ne fait aucun doute que nombre des groupes radicaux, féministes et gais qui ont émergé à cette époque se considéraient comme socialistes, ou du moins liés à la lutte des classes. Par exemple, le groupe des femmes indépendantes (AUF), fondé en 1972 en Autriche, déclarait dans le premier numéro de son journal : « Le mouvement des femmes ouvre la voie à une révolution sexuelle et culturelle. Toutefois, celle-ci ne peut être envisagée qu’en relation avec une révolution économique. » (AUF, Eine Frauenzeitschrift, numéro 1, 1974)
Cependant, après les trahisons de ces mouvements révolutionnaires et vagues de grèves, la perspective d’une révolution menée par la classe ouvrière a commencé à être considérée comme farfelue ou impossible pour de nombreux militants de gauche démoralisés. Sans l’élément de connexion des luttes sociales de masse qui unissaient la classe ouvrière, la fin des années 1970 a vu le mouvement des femmes et le mouvement gai dériver vers les politiques identitaires et s’éloigner des aspirations radicales ou révolutionnaires pour se tourner vers de petits cercles locaux. Leur militantisme était désormais centré sur l’échange d’expériences, la culture et les projets artistiques, ainsi que sur l’administration des réalisations passées telles que les refuges pour femmes et les lignes d’écoute téléphoniques. L’institutionnalisation progressive du mouvement des femmes au sein de l’État – au sein des partis réformistes, par la création de ministères de la Femme et par l’octroi de chaires et de bourses dans les universités – a conduit à un renforcement des idées petites-bourgeoises au sein du mouvement des femmes de la fin des années 1970 et des années 1980.
Les théories féministes qui présentent la lutte des classes comme secondaire par rapport à la lutte culturelle contre le patriarcat, ou qui nient complètement l’existence de la lutte des classes, ont gagné en influence. Il ne s’agissait plus de lutter contre la société de classe et l’oppression des femmes qui y est enracinée, mais de lutter contre le « patriarcat transhistorique » (c’est-à-dire qui reste le même à travers différentes formes de société). Le sujet révolutionnaire n’était plus la classe ouvrière, mais la femme opprimée par l’homme. À partir de cette prémisse, une abondance de textes et de discussions se sont penchés sur la question de l’essence du patriarcat et de la manière de définir la « femme », qui était devenue le principal objet d’analyse. L’idée de différencier le sexe biologique et le genre social, acquis, s’est imposée. Elle est exprimée dans la remarque emblématique de Simone de Beauvoir :
« On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un Autre. » (Le deuxième sexe, p. 285)
Ici, nous voyons déjà les racines de ce qui deviendra plus tard les idées centrales de la théorie queer : 1) la « femme » en tant que telle n’existe pas. 2) Elle est seulement façonnée et élevée pour le devenir par la société.
Mais si la « femme » (qui ne doit plus être étroitement définie par la biologie) n’existe pas, qui est ce sujet qui doit lutter pour son émancipation? La recherche de la véritable identité de la femme, du nouveau sujet révolutionnaire, occupait les professeurs et les écrivains de l’époque. Dans leur quête de « l’essence féminine », certains découvraient le bûcher des sorcières et considéraient le chamanisme et la sorcellerie comme une manifestation de la féminité opprimée. D’autres voyaient la féminité cachée dans les domaines de l’irrationalité des émotions ou de la poésie; d’autres encore trouvaient que seules les lesbiennes pouvaient véritablement lutter pour l’émancipation des femmes, car elles refusaient les relations hétéronormatives avec les hommes, et ainsi de suite. Dès lors, la question se posait de savoir qui devait avoir le droit de représenter les femmes. Ainsi, pendant une période de déclin de la lutte des classes, la politique identitaire s’est enfoncée encore plus profondément dans une crise.
Cette crise a été exacerbée par la dissolution de l’Union soviétique. Pour beaucoup, la croyance qu’une solution de rechange au capitalisme était possible s’est évanouie. Le malin plaisir de la bourgeoisie, qui proclamait la « fin de l’histoire », s’est reflété dans une humeur dépressive qui a saisi la gauche, dans des conditions où les forces du marxisme étaient trop faibles pour présenter une solution visible.
C’est dans ce contexte que les idées du postmodernisme – qui rejette les systèmes complexes et les processus généraux, nie l’existence d’une réalité objective et s’appuie plutôt sur de petits récits subjectifs – ont gagné en popularité. L’une de leurs caractéristiques communes est l’importance extraordinaire que les postmodernes attribuent au langage. « Qui dit qu’il existe une réalité au-delà du langage? Le langage est la réalité! », telle est la devise de ces professeurs postmodernes qui gagnent des chaires, des postes universitaires et des contrats de publication grâce à leurs acrobaties intellectuelles. La théorie queer, dont les principales influences sont le poststructuralisme de Foucault, la psychanalyse de Lacan et le déconstructivisme de Derrida, fait partie de ces idées.
Le livre le plus connu attribué à la théorie queer est Trouble dans le genre : le féminisme et la subversion de l’identité (1990) de Judith Butler. Née en 1956, professeure de philosophie spécialisée dans la littérature comparée, Judith Butler correspond au milieu social et au contexte théorique typique de la théorie queer. Dès les premières phrases, elle situe son livre dans le contexte de la crise de la politique identitaire :
« La théorie féministe a presque toujours tenu pour acquis qu’il existe une identité appréhendée à travers une catégorie de “femmes” qui non seulement introduit les intérêts et les buts féministes dans le discours, mais définit également le sujet pour lequel la représentation politique est recherchée. » Par contre : « peu s’entendent encore sur ce qui définit ou devrait définir la catégorie “femme”. » (Trouble dans le genre [TDLG], p. 59-60)
Le point central de la théorie queer est l’individu, le sujet qui a été plongé dans la crise. Son identité est incertaine et contradictoire, tout comme le monde dans lequel il vit – il est pris dans un réseau de relations de pouvoir et d’oppression. Ces éléments centraux de la théorie queer semblaient enfin donner une voix à ce que tant de gens ressentaient : le stress permanent lié à la tentative de répondre aux exigences du système. Il faut être travailleur, productif, un homme bon et fort, une mère et une femme de carrière bonne et compréhensive, en bonne santé physique et mentale, qui vise toujours plus haut. L’aliénation de soi et le sentiment d’être seul dans un monde où toute expression de soi ressemble presque à une caricature étaient enfin criés haut et fort. La question a été posée de savoir qui l’on peut même être si l’on n’existe que comme produit moulé par la société, tout comme une pièce de monnaie avec une valeur d’échange.
Cette individualisation et ce vague besoin de résistance en l’absence d’un mouvement de masse ont été des éléments psychologiques importants des années 1990 et 2000. Ce qui rend la théorie queer attrayante pour certains est peut-être le fait qu’elle fournit un langage qui valorise le sujet, qui s’appuie sur le point de vue unique de chacun et qui décrit sa conscience.
La base philosophique de la question du genre
L’argument principal de la théorie queer et de Judith Butler est que le problème de la politique identitaire réside dans sa quête d’une « véritable identité » de la femme. Après tout, chaque femme est unique et différente, alors comment pouvons-nous déterminer une définition toujours valable de la « femme » qui n’a pas déjà été déformée et influencée par les préjugés de la société? Toute représentation de la « femme » est donc incomplète et exclut certaines femmes. La « femme », dit Butler, n’existe pas – elle n’est qu’une projection de préjugés et d’opinions sur des corps humains. Il n’y a pas de femme avant qu’elle n’ait été transformée en femme par les structures de pouvoir de la société. Cependant, comme nous le verrons plus tard, la théorie queer ne considère aucunement que sa tâche consiste à comprendre ce qu’elle appelle les « structures de pouvoir », et encore moins à les briser.
Ici, il est nécessaire de faire un détour philosophique et d’examiner comment Butler parvient à son argument selon lequel la « femme » (ou plutôt les « genres ») n’existe pas, et ce qui se cache derrière cet argument. Car dans l’histoire de la philosophie, ses affirmations ne sont ni nouvelles, ni originales. La seule différence est qu’elle applique de vieux schémas philosophiques exclusivement à la question du genre. En fait, les marxistes ont déjà répondu de manière approfondie, il y a plus de 100 ans, aux mêmes arguments que ceux qui sont aujourd’hui ressassés par la théorie queer. En particulier, l’excellent ouvrage de Lénine intitulé Matérialisme et empiriocriticisme se lit comme une réfutation directe de la théorie queer.
Comme point de départ de son argumentation, Butler aborde le dualisme entre le sexe biologique et le genre social décrit ci-dessus, qu’elle critique. Ce dualisme représente en fait la relation entre la matière et l’idée. Quelle est l’origine de la « femme »? Est-ce la nature, la biologie, le fait qu’elle puisse porter des enfants, ou est-ce la notion culturelle de féminité – et quelle est la relation entre ces deux aspects?
Derrière cette question du sexe biologique et des rôles de genre se cache la question de savoir sur quel fondement philosophique nous construisons notre vision du monde, l’idéalisme ou le matérialisme – puisque la théorie queer voit le monde, avant tout, à travers le prisme de la question du genre. Friedrich Engels a décrit ces deux approches philosophiques opposées de la manière suivante :
« [L]a question de savoir quel est l’élément primordial, l’esprit ou la nature – cette question a pris, vis-à-vis de l’Église, la forme aiguë : le monde a-t-il été créé par Dieu ou existe-t-il de toute éternité? Selon qu’ils répondaient de telle ou telle façon à cette question, les philosophes se divisaient en deux grands camps. Ceux qui affirmaient le caractère primordial de l’esprit par rapport à la nature, et qui admettaient par conséquent, en dernière instance, une création du monde de quelque espèce que ce fût – et cette création est souvent chez les philosophes, par exemple chez Hegel, beaucoup plus compliquée et plus impossible encore que dans le christianisme –, ceux-là formaient le camp de l’idéalisme. Les autres, qui considéraient la nature comme l’élément primordial, appartenaient aux différentes écoles du matérialisme. » (Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande)
La question du fondement philosophique de toute théorie est loin d’être pédante. Selon que nous considérons les idées ou la matière comme fondamentales au monde, la réponse à la question de savoir comment ou si le monde peut être fondamentalement changé est différente. Pouvons-nous éradiquer l’oppression des femmes au moyen d’idées (par exemple, le langage, l’éducation) ou par des changements matériels (par la lutte des classes, en changeant les rapports de production)?
Au bout du compte, personne ne peut éluder le choix entre idéalisme et matérialisme. Cela ne signifie pas que de nombreux philosophes n’ont pas essayé de le faire. Dans son livre Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie allemande classique, Engels parle de ceux qu’il définit comme les « agnostiques », qui se démarquent des idéalistes et des matérialistes. Il fait référence à ceux qui tentent d’éluder la question de savoir laquelle de la pensée ou de la matière est l’élément primordial en les traitant comme deux sphères distinctes.
Cet agnosticisme a atteint sa forme la plus élevée avec Emmanuel Kant (1724-1804), qui partait du principe que la réalité matérielle existe bel et bien (il l’appelait la chose-en-soi), mais que cette réalité ne peut pas être véritablement connue, car par défaut, nous imposerions nos catégories préconçues au monde et l’« interpréterions » ainsi sans pouvoir déterminer si notre interprétation est réellement exacte. Le dualisme du sexe et du genre est précisément un tel agnosticisme : le corps d’une femme est une chose, les préjugés culturels sur les femmes en sont une autre. La relation entre ces deux aspects devient donc mystérieuse et inconnue.
Mais même le génial Kant n’a pu éviter la question de savoir si la pensée ou la nature est primordiale. Si l’homme perçoit le monde à travers ses catégories et ses sens, d’où viennent ces catégories avec lesquelles nous pensons? Le cerveau humain et la science les déduisent-ils de la nature, ou proviennent-ils d’un monde immatériel, spirituel, autrement dit d’un Dieu? Kant lui-même répond à la question par cette dernière et, bien qu’il ait été un scientifique et un philosophe de génie, il était néanmoins un idéaliste.
En revanche, le marxisme se place du côté du matérialisme : la matière est primordiale; nos idées sont des produits de notre cerveau, nos sens sont la connexion de nos corps (matériels) au monde matériel, notre culture est une expression des humains dans leur interaction avec la nature, dont ils font partie.
« L’élimination du “dualisme de l’esprit et du corps” par le matérialisme (c’est-à-dire le monisme matérialiste) consiste en ce que l’esprit n’ayant pas d’existence indépendante du corps, est un facteur secondaire, une fonction du cerveau, l’image du monde extérieur. L’élimination idéaliste du “dualisme de l’esprit et du corps” (c’est-à-dire le monisme idéaliste) consiste en ce que l’esprit n’est pas une fonction du corps, qu’il est par conséquent le facteur primaire; que le “milieu” et le “Moi” n’existent que dans la liaison indissoluble des mêmes “complexes d’éléments”. En dehors de ces deux moyens diamétralement opposés d’éliminer le “dualisme de l’esprit et du corps”, il ne peut y avoir aucun autre moyen, sauf l’éclectisme, c’est-à-dire la confusion incohérente du matérialisme et de l’idéalisme. » (Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme, chapitre 1, section 5, « L’homme pense-t-il avec le cerveau? »)
Idéalisme subjectif
Concernant la question de l’idéalisme contre le matérialisme, la théorie queer n’est pas neutre. Elle prend résolument un parti – le parti de l’idéalisme. Butler écrit :
« Certaines théoriciennes féministes se sont approprié l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss, y compris la distinction problématique entre la nature et la culture, pour arrimer et éclairer la distinction sexe/genre : c’est la position qui commence par postuler une femelle naturelle ou biologique avant d’envisager sa transformation en une “femme” socialement subordonnée; un postulat qui implique que le “sexe” est ici à la nature ou au “cru” ce que le genre est à la culture ou au “cuit”. » (TDLG, p. 116)
Elle veut dissoudre cette distinction problématique entre sexe et genre, se débarrasser du dualisme, notamment en déclarant que le sexe biologique est une construction culturelle.
« Les faits prétendument naturels du sexe sont-ils produits à travers différents discours scientifiques qui servent d’autres intérêts, politiques et sociaux? Si l’on mettait en cause le caractère immuable du sexe, on verrait peut-être que ce que l’on appelle “sexe” est une construction culturelle au même titre que le genre; en réalité, peut-être le sexe est-il toujours déjà du genre et, par conséquent, il n’y aurait plus vraiment de distinction entre les deux. » (TDLG, p. 69)
Les sexes ne sont donc pas réels, nous sommes simplement menés par le bout du nez par le discours dominant! Par des répétitions régulières et en agissant comme un certain sexe, nous exécutons des sexes qui sont ainsi incorporés. C’est pourquoi nos corps humains ne sont ni masculins ni féminins (ou autre chose), ils sont une inconnue totale, quelque chose qui ne peut exister indépendamment des idées que nous nous en faisons. L’idée même qu’ils puissent exister indépendamment de notre culture est inacceptable :
« Toute théorie envisageant le corps comme un construit culturel devrait tout de même mettre en question la généralité suspecte de ce construit lorsque le “corps” est représenté comme passif et pré-discursif. » (TDLG, p. 248-249)
Pour défendre Judith Butler, certaines personnes de gauche affirment qu’elle ne nie pas réellement l’existence des sexes et qu’insinuer le contraire est une exagération malveillante de ses idées. Cela n’est vrai que dans la mesure où elle comprend la biologie aussi comme un langage, comme un attribut culturel. Malgré son style d’écriture inaccessible, elle est relativement cohérente dans la défense de ses vues idéalistes :
« La prémisse de base ici, c’est que l’“être” du genre est un effet, un objet d’enquête généalogique qui vise à esquisser les paramètres politiques de sa construction sur le mode de l’ontologie. Dire que le genre est construit ne revient pas à dire qu’il est une illusion ou un pur artifice; ce serait placer ces termes à l’intérieur d’un couple de contraires dans lequel “réel” serait le contraire d’“authentique”. »
Son enquête « cherche à comprendre la production discursive du caractère plausible de ce rapport binaire; elle nous fait comprendre que certaines configurations du genre prennent la place du “réel”, qu’elles consolident et étendent leur hégémonie lorsque ce processus performatif parvient à se naturaliser lui-même de manière heureuse » (p. 109).
Si nous traduisons cette formulation pompeuse en français compréhensible, Butler nous dit que toute forme d’être est simplement un effet des « discours » (du langage), c’est-à-dire : l’Idée, le mot, le langage est premier, la matière est un effet dérivé de celui-ci, et en fin de compte elle aussi est seulement langage. Cela signifie que, pour Butler, l’anatomie, la biologie et les sciences naturelles sont toutes des constructions du langage. C’est pourquoi les sexes ne sont pas « artificiels » – parce que, de son point de vue, il n’y a rien en dehors des constructions culturelles. Considérer la réalité matérielle comme quelque chose qui existe indépendamment de nos idées, c’est se laisser berner par le discours dominant, qui nous dit qu’il existe un dualisme entre « matière » et « culture ». Cette opinion dominante (« hégémonie ») nous fait croire qu’il existe un sexe « réel » et un genre « irréel ». Mais Butler a vu clair dans tout cela! TOUT est culture, tout est langage – tout est Idée!
« Le “réel” et les “faits sexuels” sont des constructions fantasmatiques – des illusions de substance – que les corps sont forcés d’approcher, mais sans jamais y parvenir », dit Butler. « […L]e fait de ne pas arriver à devenir “réel” et à incarner le “naturel” est, à mon avis, un échec constitutif de tous les accomplissements du genre pour la bonne raison que ces lieux ontologiques sont fondamentalement inhabitables. » (TDLG, p. 273)
Cet idéalisme n’est pas une particularité de Judith Butler, dont nous avons traité jusqu’à présent. Il s’agit d’un pilier fondateur de la théorie queer, selon laquelle les hommes, les femmes, mais aussi l’orientation sexuelle sont des constructions culturelles. Ainsi, les textes queer aiment souvent mettre la nature, la biologie, le sexe, l’homme, la femme, etc. entre guillemets pour montrer que les auteurs ne se laissent plus prendre au piège de croire à l’existence du monde réel. Pour ne donner que quelques exemples :
Annamarie Jagose soutient : « En soulignant l’impossibilité d’une sexualité “naturelle”, le queer remet en question des catégories apparemment stables comme “l’homme” et “la femme”. »
David Halperin : « Être socialisé dans une culture sexuelle signifie simplement que les conventions de ce système acquièrent le statut d’une vérité intérieure auto-réalisatrice de la “nature”. »
Gayle S. Rubin : « Ma position sur la relation entre la biologie et la sexualité est un “kantisme sans libido transcendantale” » (lire : un Kant qui ne dépasse [« transcende »] pas le domaine de l’expérience immédiate jusqu’au corps réel, donc un dualisme qui élimine la matière = idéalisme pur).
Chris Weedon écrit à propos de son fondement philosophique que « le langage, loin de refléter une réalité sociétale donnée, constitue la réalité sociale. Ni la réalité sociétale ni le monde “naturel” n’ont de significations fixes et inhérentes qui sont reflétées ou exprimées par le langage. […] Le langage n’est pas […] l’expression et la dénomination du monde “réel”. Il n’y a pas de signification au-delà du langage. »
Nancy Fraser, professeure et féministe ayant une affinité avec la théorie queer, n’est pas aussi sûre de sa propre philosophie et vacille ainsi entre un dualisme kantien et un idéalisme pur. Elle défend d’abord « un dualisme quasi-weberien » pour nous assurer ensuite que « la distinction économique/culturelle, et non la distinction matérielle/culturelle, est la véritable pomme de discorde entre Butler et moi ».
Et enfin Michel Foucault, le philosophe postmoderne et « père de la théorie queer » : « Le secret du sexe n’est sans doute pas la réalité fondamentale par rapport à laquelle se situent toutes les incitations à en parler […] Il s’agit plutôt d'[… une] fable indispensable à l’économie indéfiniment proliférante du discours sur le sexe. »
Pour résumer : la théorie queer repose sur une base philosophique idéaliste, selon laquelle le sexe et le genre sont des constructions culturelles qui sont continuellement « jouées ».
Comme nous l’avons dit plus haut, ces pirouettes intellectuelles ne sont pas du tout originales. Dans Matérialisme et empiriocriticisme, Lénine le montre en faisant référence à un certain nombre de philosophes idéalistes bien connus. Il paraphrase l’évêque George Berkeley du 17e siècle :
« Le monde n’est plus ma représentation, mais l’effet d’une cause divine suprême, créatrice tant des “lois de la nature” que des lois d’après lesquelles on distingue les idées “plus réelles” des idées qui le sont moins, etc. »
Ou prenons Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) :
« Ne t’efforce donc pas de sortir de toi-même et d’embrasser (ou de saisir) plus que tu ne peux, à savoir : la conscience et (c’est le philosophe qui souligne) la chose, la chose et la conscience, ou, plus exactement, ni ceci ni cela séparément, mais uniquement ce qui dans la suite se décompose en ceci et en cela, ce qui est absolument subjectif-objectif et objectif-subjectif. » (cité dans Matérialisme et empiriocriticisme)
Bogdanov (1873-1928, un révolutionnaire russe influencé par les idées idéalistes) déclare ici :
« Le caractère objectif du monde physique vient de ce qu’il n’existe pas pour moi seul, mais pour tous, et qu’il a, telle est ma conviction, pour tous la même signification déterminée que pour moi. […] D’une façon générale, le monde physique c’est l’expérience socialement concertée, socialement harmonisée, en un mot, l’expérience socialement organisée. » (cité dans Matérialisme et empiriocriticisme)
Lénine commente sèchement : « C’est toujours le même principe, la même vieillerie présentée sous une enseigne un peu rafraîchie ou repeinte. »
Et il souligne également les conséquences de cette vision philosophique. Car si les pensées et la réalité sont en fait identiques et seulement construites par les humains, nous ne pouvons pas faire la distinction entre les idées correctes (qui augmentent notre compréhension du monde réel) et les idées fausses (qui décrivent le monde de manière déformée et incorrecte) – il est impossible de dire ce qui nous aide à comprendre et à changer le monde, et ce qui est une fantaisie, un non-sens total : la religion est tout aussi vraie que la physique, le monstre en spaghetti volant est aussi réel que la gravité.
« Si la vérité n’est qu’une forme organisatrice de l’expérience humaine, la doctrine du catholicisme, par exemple, serait aussi une vérité. Car il est hors de doute que le catholicisme est une “forme organisatrice de l’expérience humaine”. »
Par ailleurs, cela signifie également que nous ne pouvons pas remettre en question la réalité subjective de quiconque, que chacun a raison pour lui-même (dans le domaine de la « réalité discursive »). Qui peut prouver que les femmes ne sont pas inférieures aux hommes? Pourquoi ne serait-il pas vrai que la pauvreté est le résultat de la paresse et de l’échec personnel? Pourquoi, lors d’une lutte ouvrière, un briseur de grève n’aurait-il pas raison à sa manière? Le fait que l’idéalisme subjectif traite toute opinion comme étant aussi valable qu’une autre montre le rôle réactionnaire qu’il joue dans sa conclusion pratique.
L’affirmation de la théorie queer et de l’idéalisme subjectif selon laquelle le monde entier est une construction culturelle contredit notre expérience quotidienne, qui est que les sexes sont réels – comme la reproduction sexuée le prouve quotidiennement – et que le monde physique poursuit ses activités quotidiennes indépendamment de notre langage. Néanmoins, certains considèrent la théorie queer comme un outil utile pour percevoir le monde.
Société de classes, oppression et culture
La théorie queer attire l’attention sur un aspect du genre qui ne peut être expliqué par une définition biologique rigide : dans notre société, nous sommes forcés d’adopter des rôles de genre et sommes socialisés selon ceux-ci. Il n’y a aucune raison biologique qui justifie que le rose soit féminin et le bleu masculin, que les filles jouent à la poupée et les garçons aux Lego, etc. Dès notre plus jeune âge, on nous dit que les femmes sont émotives et irrationnelles, qu’elles sont moins bonnes en mathématiques et qu’elles ne devraient pas se mêler de politique, etc. Tout cela montre que les genres remplissent plus que de simples fonctions biologiques et qu’ils sont profondément ancrés dans la culture de notre société.
Cependant, la culture elle-même n’est pas un phénomène arbitraire et accidentel – elle émerge de la base matérielle d’une société et de l’interaction des humains avec la nature : « Au cours du processus d’adaptation à la nature, dans la lutte contre ses forces hostiles, la société humaine se modifie en une complexe organisation de classes. D’elle-même la structure de classe de la société définit le degré décisif du contenu et de la forme de l’histoire humaine, c’est-à-dire de leurs relations matérielles et de leurs réflexions idéologiques. En définitive, cela signifie que la culture historique possède un caractère de classe. » (Trotsky, Culture et socialisme)
Pendant la majeure partie de notre existence, les humains n’ont pas vécu en société de classes. Cela est dû au fait que l’existence de sociétés de classes nécessite un produit excédentaire, quelque chose dont une classe peut s’enrichir au détriment d’une autre. Dans les sociétés où ce n’était pas le cas (Engels les qualifiait de « communisme primitif »), il n’y avait pas non plus d’oppression des femmes. Cependant, il existait une certaine division du travail entre les sexes (en raison de la grossesse et de la naissance), même si, très probablement, cette division n’était pas absolue et rigide.
Cette division du travail ne signifiait pas pour autant que les femmes étaient considérées comme inférieures aux hommes, bien au contraire. En tant que personnes assurant la reproduction de notre espèce, elles étaient tenues en haute estime. Ce n’est que lorsque l’humain, dans sa lutte contre la nature, a trouvé le moyen de créer un surplus, ce qui a conduit à l’émergence de la propriété privée, que la division du travail a conduit à l’oppression des femmes. Selon Engels, c’est la base de « la grande défaite historique du sexe féminin », c’est-à-dire un événement historique et non « biologique ». Cela signifie que, si l’oppression des femmes en dernier ressort a un fondement biologique, elle n’est pas une loi naturelle absolue. L’oppression des femmes, au cours de milliers d’années, s’est profondément enracinée dans notre société, et elle peut revêtir de nombreuses formes qui ne sont pas strictement dérivées du fait que les femmes peuvent porter des enfants et qui ont à leur tour été adaptées au système dominant en place.
L’oppression est enracinée dans la société de classe et s’exprime différemment selon les circonstances historiques concrètes. Les rôles de genre, ainsi que notre rapport à la sexualité, ont changé à de nombreuses reprises au cours de l’histoire de l’humanité; et ils changent en fonction des conditions dominantes. Citons par exemple la pédérastie dans la Grèce antique, par opposition à l’homosexualité d’aujourd’hui, ou la reconnaissance d’un troisième genre dans certaines cultures, comme les muxhes du peuple zapotèque. Mais les femmes et les hommes ont également été associés à différents attributs au fil du temps; il suffit de comparer les idéaux de beauté féminins de la Renaissance aux top-modèles d’aujourd’hui.
L’oppression des femmes sous le capitalisme s’appuie sur les rôles de genre pour maintenir intacte l’unité économique de la « famille », avec toutes les tâches qui y sont attribuées, en tant que pilier important du capitalisme. Au sein de la famille, ce sont principalement les femmes qui se voient attribuer le rôle de faire le ménage, d’élever les enfants et de s’occuper des personnes âgées. L’image de la femme en tant que soutien émotionnel et mère est entretenue. Sur le marché du travail, les femmes sont généralement moins bien payées et, en cas de surplus de main d’œuvre, elles sont les premières à être renvoyées chez elles. Si les couples homosexuels sont reconnus dans un nombre croissant de pays, cela va de pair avec leur subordination au rôle de la famille, avec toutes ses responsabilités. Les rôles de genre ne sont donc pas des fantasmes purement culturels issus du monde des idées, mais découlent de la base matérielle de la société de classe – qui se construit sur l’exploitation et l’oppression – ainsi que de facteurs biologiques.
L’oppression, qui fait également partie de la société de classe capitaliste, pénètre profondément dans nos vies et inclut la dégradation des femmes en objets sexuels et leur soumission à la violence conjugale. Il existe une pression très réelle pour évoluer dans la société en tant qu’hommes ou femmes hétérosexuels. La violence et la discrimination à l’encontre des personnes gaies et transgenres sont endémiques, malgré les nombreuses campagnes libérales en faveur des droits de la communauté LGBT. Le combat d’une personne transgenre qui choisit de suivre une hormonothérapie ou de changer de sexe dure des années, et nombre d’entre elles n’en n’ont pas les moyens financiers. La discrimination en matière de logement, au travail et même lors de simples déplacements dans les espaces publics, continue d’exister.
Tous ces aspects de la discrimination et de l’oppression suscitent évidemment une énorme colère et le désir d’échapper à ce cauchemar. Comprendre l’origine de l’oppression des femmes et ce qui se cache derrière la discrimination à l’égard des sexualités soi-disant « déviantes » est crucial si nous voulons trouver un moyen d’y mettre fin. En l’absence d’une compréhension des racines matérielles de l’oppression des femmes et de la discrimination en matière de sexualité et de rôles de genre, des idées telles que la théorie queer (qui se concentre entièrement sur la culture, l’éducation et l’opinion publique) gagnent inévitablement en popularité. En observant l’évolution des rôles de genre au fil du temps, il est tentant de conclure qu’il n’y a pas de sexe biologique « réel » derrière ces aspects culturels.
Matérialisme, science et sexe
L’idée que les sexes sont des construits sociaux est renforcée par le fait que la science sous le capitalisme n’est pas libre des intérêts de la classe dominante. Par conséquent, la science n’adopte pas non plus une position neutre sur la question du sexe et du genre. N’oublions pas que l’Organisation mondiale de la santé a classé l’homosexualité comme une maladie jusqu’en 1992.
La compréhension courante des sciences naturelles sur le sexe est nettement abstraite et rigide (dans son Anti-Dühring, Engels appelle ce type de pensée le « mode de pensée métaphysique »). Si nous définissons le sexe uniquement sur la base des chromosomes XX (femelle) et XY (mâle), quelqu’un peut à juste titre faire remarquer qu’il existe des personnes ayant des chromosomes XX ou XY, mais présentant des taux d’hormones atypiques, comme le montre le traitement scandaleux de l’athlète Caster Semenya, qui mène un combat permanent contre l’obligation de prendre des pilules hormonales en raison de son avantage « injuste » en testostérone. Si nous définissons les femmes uniquement en fonction de leur capacité à porter des enfants, les femmes stériles ne sont-elles pas de vraies femmes? Si les sexes existent afin d’assurer la reproduction sexuée, pourquoi l’homosexualité existe-t-elle? Et comment comprendre les femmes transgenres qui ont des organes reproducteurs masculins mais s’identifient comme des femmes?
Cependant, ce problème des définitions absolues et rigides des choses ne se pose pas seulement par rapport aux sexes. Les mêmes questions peuvent être posées à propos de tous les termes que nous utilisons. Prenons le terme « maison », par exemple. Une maison est un bâtiment qui offre un toit à quelqu’un, dans lequel on peut entrer et vivre. Mais une maison sans toit n’est-elle plus une maison? Combien de trous un toit doit-il avoir pour ne plus être un toit? À quel moment une maison en voie de décomposition devient-elle une ruine – et à quel moment une maison devient-elle un château?
Nous voyons ici que le matérialisme métaphysique, avec sa rigidité et sa prétention à l’immuabilité, conduit nécessairement à des contradictions, auxquelles la théorie queer s’accroche. Personne ne songerait normalement à nier l’existence des maisons – après tout, des villes entières en sont remplies. Mais selon la logique de la théorie queer, la réponse serait qu’il n’y a pas de maisons, puisqu’il n’existe pas de définition parfaite des maisons qui couvre exactement tous les cas. Les maisons sont simplement des constructions culturelles, qui sont « inscrites » sur des objets aléatoires.
Le mode de pensée métaphysique qui domine les sciences naturelles et le système éducatif ne peut expliquer la relation entre le particulier et l’universel. La dialectique marxiste, cependant, voit un lien nécessaire entre le particulier (par exemple un homme stérile) et l’universel (les hommes existent). L’universel n’existe que par son expression concrète – il n’y a pas de maison « éternelle et complète » dans le monde des idées, mais seulement toutes les maisons réelles de ce monde. Lénine décrit cela de la manière suivante :
« Que l’on commence par le plus simple, habituel, massivement répandu, etc., par n’importe quelle proposition : les feuilles de l’arbre sont vertes; Jean est un homme; Médor est un chien, etc. Ici déjà (comme l’a remarqué génialement Hegel), la dialectique est là; le particulier est général. Donc, les contraires (le particulier est le contraire du général) sont identiques : le particulier n’existe pas autrement que dans cette liaison qui conduit au général. Le général n’existe que dans le particulier, par le particulier. Tout particulier est (de façon ou d’autre) général. Tout général est (une parcelle ou un côté ou une essence) du particulier. Tout général n’englobe qu’approximativement tous les objets particuliers. Tout particulier entre incomplètement dans le général, etc., etc. Tout particulier est relié par des milliers de passages à des particuliers d’un autre genre (choses, phénomènes, processus), etc. Il y a déjà ici des éléments, des embryons du concept de nécessité, de liaison objective de la nature, etc. Le contingent et le nécessaire, le phénomène et l’essence sont déjà ici, car en disant : Jean est un homme, Médor est un chien, ceci est une feuille d’arbre, etc., nous rejetons une série de caractères comme contingents, nous séparons l’essentiel de l’apparent et nous opposons l’un à l’autre. » (Lénine, Sur la question de la dialectique)
La quête d’une définition immuable et absolue est sans espoir, car le monde dans lequel nous vivons est en constante évolution. Nos analyses et nos mots sont une approximation de la réalité, ils décrivent certains aspects de la réalité objective. En revanche, un matérialisme rigide et abstrait (ou « métaphysique ») tente d’imposer nos définitions au monde, quoi qu’il arrive, et exige qu’il s’y conforme. La théorie queer, cependant, prend pour argent comptant les définitions rigides et immuables du matérialisme mécanique et soutient que le monde matériel lui-même est rigide et immuable – et rejette donc l’ensemble du monde matériel, y compris les sexes, en les déclarant invalides.
En critiquant une philosophie grossière, la théorie queer va à l’autre extrême et adopte son image miroir. Aucun phénomène ne coïncide directement avec les catégories générales par lesquelles nous les connaissons. Aucun homme ni aucune femme ne correspond parfaitement à la catégorie universelle par laquelle nous les connaissons. Pourtant, les hommes et les femmes existent. La nature s’exprime par des modèles que nous, les humains, pouvons apprendre à reconnaître. L’idée que nous nous faisons d’un homme ou d’une femme, dépouillée de tous les attributs accidentels et inessentiels, est cruciale pour notre compréhension de tout homme ou femme individuel. Les théoriciens queer, comme leurs frères postmodernes, nient cependant l’existence de toute forme de catégorie ou de modèle dans la nature. Au lieu de comprendre la relation dialectique entre le particulier et l’universel, ils renient l’universel et élèvent le particulier et l’accidentel au rang de principe.
Ainsi, au lieu d’explorer la relation entre la base matérielle (la biologie, mais aussi la reproduction sociale des humains dans une société de classe oppressive) et la culture, cette théorie déclare que la matière n’existe pas. Elle absolutise ainsi un aspect de la réalité et dégénère en une « théorie » qui ne peut expliquer d’où viennent les rôles de genre et l’oppression, ni comment nous pouvons les surmonter – en bref, en un idéalisme subjectif. Lénine a décrit de manière frappante cette absolutisation d’une partie de la vérité :
« L’idéalisme philosophique n’est que niaiserie du point de vue du matérialisme grossier, simple, métaphysique. Au contraire, du point de vue du matérialisme dialectique, l’idéalisme philosophique est le développement (l’enflement, le gonflement) unilatéral, exagéré, überschwengliches (Dietzgen) de l’un des petits traits, de l’un des aspects, de l’une des facettes de la connaissance en absolu détaché de la matière, de la nature, divinisé. L’idéalisme, c’est de la bondieuserie. Juste. Mais l’idéalisme philosophique est (“plus justement” et “en outre”) la voie vers la bondieuserie par une des nuances de la connaissance (dialectique) humaine infiniment complexe. La connaissance humaine n’est pas (ou ne décrit pas) une ligne droite, mais une ligne courbe qui se rapproche indéfiniment d’une série de cercles, d’une spirale. Tout segment, tronçon, morceau de cette courbe peut être changé (changé unilatéralement) en une ligne droite indépendante, entière, qui (si on ne voit pas la forêt derrière les arbres) conduit alors dans le marais, à la bondieuserie (où elle est fixée par l’intérêt de classe des classes dominantes). Démarche rectiligne et unilatéralité, raideur de bois et ossification, subjectivisme et cécité subjective, voilà les racines gnoséologiques de l’idéalisme. Et la bondieuserie (=idéalisme philosophique) a, naturellement, des racines gnoséologiques, elle n’est pas dépourvue de fondement; c’est une fleur stérile, c’est incontestable, mais une fleur stérile qui pousse sur l’arbre vivant de la vivante, féconde, vraie, vigoureuse, toute-puissante, objective, absolue connaissance humaine. » (Lénine, Sur la question de la dialectique)
En affirmant que les sexes et le désir sexuel sont des construits, la théorie queer s’emmêle dans des contradictions. Car la question qui suit logiquement est de savoir pourquoi exactement le mâle et la femelle se sont cristallisés dans ces catégories par lesquelles les humains ont été séparés et opprimés. C’est à ce moment-là qu’elle se lance dans des spéculations psychanalytiques et anthropologiques selon lesquelles la « loi » du tabou de l’inceste, le langage, le complexe d’Œdipe et l’envie du pénis, ainsi que l’influence persistante de l’échange des femmes dans les sociétés historiques, ont créé les genres et « l’hétérosexualité obligatoire »[1]. Confrontée à la réalité, la théorie queer est incapable de l’expliquer et se heurte à un mur. En guise de réponse à la question « pourquoi exactement des hommes et des femmes? », Butler écrit finalement :
« Nous avons considéré plus tôt que le tabou de l’inceste et le tabou antérieur de l’homosexualité étaient les moments fondateurs de l’identité de genre, les prohibitions qui créaient l’identité selon les grilles culturellement intelligibles d’une hétérosexualité idéalisée et obligatoire. Cette production disciplinaire du genre a pour effet de stabiliser artificiellement le genre, servant par là les intérêts de l’hétérosexualité et les fins régulatrices de la sexualité reproductive. » (TDLG, p. 258, c’est nous qui soulignons)
Et après tous les livres et textes qui nous ont expliqué dans un langage opaque que les sexes sont fictifs et une construction culturelle, de manière honteuse et bien cachée, la nature a repris ses droits : c’est la reproduction sexuée qui détermine les genres.
Les marxistes reconnaissent qu’il existe des sexes, et que ces sexes permettent la reproduction des humains. De façon générale, on peut attribuer à une grande majorité d’humains le sexe mâle ou femelle. En dialectique, il existe ce que l’on appelle un « saut qualitatif », un point à partir duquel un changement graduel et quantitatif se transforme en une nouvelle qualité (un exemple souvent utilisé est celui de l’eau bouillante qui, après une accumulation « quantitative » de chaleur, se transforme en vapeur). Dans le cas de l’être humain également, il existe un certain nombre de facteurs qui, mis ensemble, nous permettent d’affirmer clairement qu’une personne est un mâle ou une femelle.
Toutefois, cela ne signifie pas qu’il n’y a que des hommes et des femmes. Il existe aussi des personnes intersexes. Et il y a aussi des personnes transgenres, qui ont une identité de genre qui ne correspond pas à leurs organes reproducteurs, et des personnes non binaires qui ne sont ni masculines ni féminines. Il serait absurde de les accuser d’avoir une « fausse conscience » parce que leur identité ne correspond pas à leurs organes reproducteurs. L’identité d’une personne est une chose très complexe, faite d’une combinaison de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux – qui, en fin de compte, peuvent tous être expliqués matériellement. Mais le fait que notre conscience et le cerveau humain n’ont pas encore été explorés suffisamment par la science pour déterminer quel mélange de facteurs crée notre identité de genre, ne nous donne aucune raison de déclarer qu’il s’agit d’une pure « fiction culturelle » qui n’est pas liée à notre corps.
Au contraire, cette représentation de l’identité en tant que construction culturelle vient obscurcir les problèmes très réels de nombreuses personnes transgenres qui luttent pour avoir accès à une chirurgie de réassignation sexuelle ou à l’hormonothérapie. Cela n’aide pas non plus à défendre des revendications tout à fait pratiques, comme le droit à l’avortement pour les femmes, la gratuité des produits d’hygiène féminine ou la médecine sexo-spécifique (gynécologie).
Le discours et la toute-puissance du « pouvoir »
Si nous partons du principe, comme le fait la théorie queer, que les sexes et la sexualité sont des constructions culturelles, nous devons nous demander : comment cette construction est-elle apparue, et pourquoi ?
Judith Butler se moque de Friedrich Engels et des « féministes socialistes » qui tentent d’« identifier dans l’histoire ou la culture ces moments ou structures qui instituent la hiérarchie de genre » (TDLG, p. 115). Butler elle-même pense que les sociétés passées dans lesquelles il n’y avait pas d’oppression des femmes portent la marque de « fabrications autojustificatives » (TDLG, p. 115). Le fait qu’il ait été prouvé que de telles sociétés ont réellement existé ne fait que démontrer son ignorance de la réalité et son rejet de l’histoire.
Si l’explication marxiste est beaucoup trop « simplificatrice » aux yeux de la théorie queer, cette dernière présente d’autres explications de la « construction » de l’oppression dans la société, qui découlerait des relations et structures de pouvoir complexes, à multiples couches et facettes, de la société.
Le concept de pouvoir que prône la théorie queer est emprunté au philosophe français Michel Foucault (1926-1984), qui, dans les milieux universitaires, est parfois considéré comme un successeur ou un « enrichisseur » de ce qu’ils appellent le « marxisme orthodoxe ». Élève de Louis Althusser, il a évolué dans l’orbite du Parti communiste français (PCF) pendant un certain temps et en a été membre (inactif) de 1951 à 1952, sans jamais avoir étudié le marxisme (comme il le reconnaît lui-même)[2].
Pendant les événements révolutionnaires de mai 68, Foucault enseignait dans une université tunisienne au moment où des manifestations étudiantes massives avaient lieu. Il considérait que sa tâche consistait à enseigner « quelque chose de nouveau » aux étudiants qui, selon lui, étaient fortement influencés par le marxisme.
Il blâme l’« hyper-marxisme » régnant soi-disant dans le pays à cette époque pour la trahison historique de la grève générale et du mouvement de masse en France par la direction du PCF et l’échec de la révolution. Il qualifie cette période d’intense lutte des classes de jeu de langage, de recherche de vocabulaire :
« En repensant à cette période, je dirais que ce qui était sur le point de se produire n’avait définitivement pas sa propre théorie à proprement parler, son propre vocabulaire… Je veux dire que réfléchir sur le stalinisme, la politique de l’URSS ou l’oscillation du PCF en termes critiques, tout en évitant le langage de la droite, était une opération complexe qui créait des difficultés. » (Remarks on Marx, p. 110-111, notre traduction depuis l’anglais)
Malgré son rôle contre-productif dans le mouvement réel et malgré le fait que Foucault a élaboré ses opinions consciemment contre le marxisme, il règne cette idée parmi les cercles universitaires qu’il avait une affinité avec le marxisme et que ses idées sont progressistes et un bon point d’appui pour la résistance.
Pour la théorie queer, son ouvrage le plus influent est Histoire de la sexualité (1976), dans lequel il tente de retracer l’histoire du discours sur la sexualité dans l’histoire moderne et dans lequel sa conception du pouvoir joue un rôle central. Selon Foucault (et la théorie queer), le pouvoir imprègne toutes les sphères de la vie et s’exprime par paires d’opposés : vieux-jeune, homme-femme, homo-hétéro, etc. Ce phénomène est souvent décrit comme l’obsession occidentale de la binarité (paires d’opposés), qui a été « inventée » par la philosophie occidentale.
« Le pouvoir », selon ce concept, a intérêt à maintenir un système judiciaire injuste, le discours médico-scientifique de l’homme et de la femme, la religion, ainsi que des systèmes éducatifs répressifs. Il façonne les intérêts de classe des dirigeants, la volonté masculine d’oppression patriarcale, ainsi que la répression étatique. Il a également créé des normes et des interdictions relatives aux pratiques sexuelles.
« [I]l convient aussi de repenser le pouvoir juridique comme une construction produite par un pouvoir productif qui, en retour, dissimule le mécanisme de sa propre productivité. », dit Butler (TDLG, p. 201). Donc : le pouvoir produit le pouvoir et cache ensuite le fait qu’il a été produit par le pouvoir.
Mais le pouvoir est encore plus puissant : il produit non seulement l’oppression mais aussi la résistance. L’oppression et la résistance ne sont qu’une autre paire d’opposés binaires, tout comme « vieux-jeune » ou « homme-femme », construits par le discours. Le pouvoir produit le discours de la rébellion, la fiction qu’il y a moyen de lutter contre les oppresseurs, l’illusion qu’il pourrait y avoir un monde sans pouvoir. À partir de cette logique, Foucault va jusqu’à « analyser » la chute des monarchies absolues lors des révolutions bourgeoises comme le résultat d’un discours du pouvoir sur la justice :
« Ces grandes formes de pouvoir ont fonctionné […] comme principe du droit […]
tel fut le langage du pouvoir, telle fut la représentation qu’il a donnée de lui-même […] Depuis le Moyen Âge, dans les sociétés occidentales, l’exercice du pouvoir se formule toujours dans le droit. Une tradition qui remonte au XVIIe ou au XIXe siècle nous a habitués à placer le pouvoir monarchique absolu du côté du non-droit […]. » (Histoire de la sexualité, p. 114-115.)
Comme est ridicule et simplificatrice l’analyse matérialiste marxiste, selon laquelle l’émergence d’un mode de production capitaliste a renversé l’ancien ordre féodal! Non, c’est la « tradition » qui nous a conduits à croire soudainement que la monarchie était injuste et qu’il fallait la renverser! Voilà le résultat d’une théorie qui considère l’histoire comme une construction de discours.
Dans ce cycle autoréférentiel du pouvoir, cependant, aucun des textes queer ne nous fournit une explication cohérente de ce qu’est réellement le pouvoir. Dans la toute première phrase de ses conférences sur le pouvoir, Foucault déclare : « L’analyse des mécanismes du pouvoir n’est pas une théorie générale de ce qui constitue le pouvoir. » (Vorlesungen zur Analyse der Machtmechanismen, p. 1, notre traduction)
Pour donner au lecteur une idée de la manière dont Foucault tente de saisir le pouvoir, passons la parole à l’auteur lui-même. Nos excuses pour cette longue citation :
« il me semble qu’il faut comprendre d’abord la multiplicité des rapports de force qui sont immanents au domaine où ils s’exercent, et sont constitutifs de leur organisation; le jeu qui par voie de luttes et d’affrontements incessants les transforme, les renforce, les inverse; les appuis que ces rapports de force trouvent les uns dans les autres, de manière à former chaîne ou système, ou, au contraire, les décalages, les contradictions qui les isolent les uns des autres; les stratégies enfin dans lesquelles ils prennent effet, et dont le dessin général ou la cristallisation institutionnelle prennent corps dans les appareils étatiques, dans la formulation de la loi, dans les hégémonies sociales. La condition de possibilité du pouvoir […], il ne faut pas la chercher dans l’existence première d’un point central, dans un foyer unique de souveraineté […]; c’est le socle mouvant des rapports de force qui induisent sans cesse, par leur inégalité, des états de pouvoir, mais toujours locaux et instables. Omniprésence du pouvoir : […] parce qu’il se produit à chaque instant, en tout point, ou plutôt dans toute relation d’un point à un autre. Le pouvoir est partout; ce n’est pas qu’il englobe tout, c’est qu’il vient de partout. […] le pouvoir, ce n’est pas une institution, et ce n’est pas une structure, ce n’est pas une certaine puissance dont certains seraient dotés : c’est le nom qu’on prête à une situation stratégique complexe dans une société donnée. » (Histoire de la sexualité, p. 121-123)
Amen!
Il n’est pas surprenant que Foucault ait écrit Histoire de la sexualité sous l’effet du LSD. Engels a écrit que les scientifiques, lorsqu’ils ne parviennent pas à comprendre un phénomène, ont tendance à inventer une nouvelle « force » pour servir d’explication :
« [P]our nous épargner la peine d’indiquer la cause véritable d’une transformation provoquée par une fonction de notre organisme, nous lui attribuons une cause fictive, une prétendue force correspondant à cette transformation. Ensuite nous étendons au monde extérieur cette méthode commode, et nous inventons autant de “forces” qu’il existe de phénomènes différents. » (Dialectique de la nature, p. 66)
C’est une description très pertinente de ce que sont le « pouvoir » et les « rapports de force » pour Foucault et la théorie queer. Le pouvoir est l’entité omniprésente, quasi divine, qui décrit tout, qui crée des discours à un moment donné et qui, l’instant d’après, est elle-même un produit du discours. C’est l’esprit omniprésent auquel personne n’échappe et qui nous lie à jamais. Après tout, nous sommes aussi des créations du pouvoir! L’absurdité de ce fantasme du pouvoir montre comment l’idéalisme, aussi moderne qu’il puisse paraître, conduit toujours, en dernière instance, à l’obscurantisme religieux, comme le disait Lénine. Et enfin : quelque chose qui est tout, un Être exempt de contradictions et de résistance, qui a toujours été, n’est finalement que… rien.
La théorie queer va plus loin dans la question des oppositions « binaires », qu’elle considère comme un problème fondamental à traiter. Mais les binarités (ou les opposés, comme les marxistes les appelleraient) sont des parties intrinsèques de la nature. Le philosophe grec Héraclite a écrit qu’« il y a de l’harmonie dans le conflit, comme l’arc et la lyre ». Le chaud et le froid, l’attraction et la répulsion, le nord et le sud, les courants positifs et négatifs, ainsi que le mâle et la femelle, sont autant d’exemples de l’interpénétration et de l’unité des opposés, qui sont à la base de tout changement dans la nature, et le changement est le mode d’existence de la nature. Souhaiter la disparition des sexes masculin et féminin, c’est comme souhaiter la disparition du pôle sud ou de l’air froid. Ironiquement, les théoriciens queer eux-mêmes semblent oublier que le fait de souhaiter la disparition des binarités est en soi un « opposé binaire » de la binarité existante des choses.
Toute résistance est futile!
Si nous demeurons dans l’habitat naturel de la théorie queer, le monde des publications universitaires, ce débat ressemble à un jeu intellectuel où l’on s’échange des citations philosophiques. Cependant, comme nous l’avons écrit au départ, les prémisses philosophiques mènent à certaines conclusions pratiques.
L’omniprésence du pouvoir dans la théorie queer signifie que nous ne pouvons pas y échapper, que toute résistance n’est elle-même qu’une expression du pouvoir, servant ultimement la stabilité. D’où la citation assez connue de Foucault disant que la résistance « n’est jamais en position d’extériorité par rapport au pouvoir », et qu’il n’y a donc que des résistances « possibles, nécessaires, improbables, spontanées, sauvages, solitaires, concertées, rampantes, violentes, irréconciliables, promptes à la transaction, intéressées, ou sacrificielles » (Histoire de la sexualité, p. 125-126).
« De nouvelles connaissances et pratiques entourant le concept “queer” mettent en question la croyance à la possibilité de changements sociaux à long terme ou à l’émancipation en général. » (Jagose, p. 61, notre traduction)
Ce pessimisme absolu envers les mouvements sociaux, la croyance que toute résistance est vouée à l’échec, montre à quel point ces philosophes ont peu compris les mouvements révolutionnaires des années 1960 et 1970, et les raisons de leur échec. Ils reflètent le désespoir de l’impasse féministe, de la petite bourgeoisie qui n’a aucune foi dans la classe ouvrière (en supposant qu’elle admet son existence). Plutôt que de comprendre et de critiquer le rôle des dirigeants des organisations de masse, ils recherchent de nouvelles méthodes de « résistance », sans avoir une idée claire de la cible de cette résistance, ni des méthodes à utiliser. Renverser le système dominant semble impossible.
En conséquence, la théorie queer propose des solutions qui font paraître le réformisme le plus mou comme radical en comparaison. Elle se réfugie dans le domaine de la culture et du langage. Il faudrait inventer de nouveaux mots pour l’identité, une « nouvelle grammaire » ou une « nouvelle éthique » (Gayle Rubins). Par exemple, afin « d’exposer » l’illusion des sexes, Butler suggère que les identités de genre soient l’« objet de parodie dans les pratiques drag, dans le travestissement et la stylisation des identités butch/fem. » (TDLG, p. 260). C’est la seule proposition pratique dans le livre Trouble dans le genre! Et Nancy Fraser, soulagée, explique :
« La bonne nouvelle est que nous n’avons pas besoin de renverser le capitalisme afin de remédier [au désavantage économique des gais] – bien qu’il sera peut-être bien nécessaire de le renverser pour d’autres raisons. La mauvaise nouvelle est que nous avons besoin de transformer l’ordre existant des statuts et de restructurer les relations de reconnaissance. » (p. 285)
Il faut lire : nous avons besoin d’améliorer l’image de l’homosexualité. Ici, Fraser, qui par comparaison s’intéresse plus à la pratique, montre ouvertement son réformisme : heureusement, elle n’a pas à renverser le capitalisme! Elle n’a qu’à changer comment la société voit l’homosexualité! Ce n’est pas étonnant que les réformistes au sein des organisations ouvrières aient été bien disposés à adopter la théorie queer pour éviter la responsabilité de mener une véritable lutte contre la discrimination au moyen de grèves et de manifestations de masse, en somme les méthodes de la lutte des classes, et pour se concentrer plutôt à revendiquer des réformes linguistiques, des quotas, des espaces culturels autonomes et des passages pour piétons arc-en-ciel.
Comme elle évite la question de classe, la théorie queer n’est pas seulement un outil utile pour les bureaucrates au sein des organisations ouvrières, mais elle sert également de justification idéologique pour une section de la bourgeoisie et des forces capitalistes, leur permettant de se présenter comme des alliés de la communauté LGBT et de se donner une image libérale et progressiste. Des entreprises telles que Apple ou Coca-Cola, qui exploitent des dizaines de milliers de personnes dans des conditions de travail terribles, appuient des campagnes LGBT au sein de leur entreprise ou financent des camions festifs qui distribuent de l’alcool gratuit lors de parades de fierté commercialisées. Afin de financer la production d’idées en apparence radicales, mais en réalité complètement inoffensives (particulièrement pour la classe dirigeante), on dépense des milliers d’euros sur des chaires en études sur le genre, des départements et des bourses en études queer, pendant que les médias et éditeurs de gauche impriment des articles et des romans bénins.
Beaucoup de militants queer sont au courant de ces tendances et s’opposent clairement à l’appropriation de leur résistance par le système dominant. Par contre, la théorie queer n’offre pas les idées nécessaires pour lutter contre cette usurpation par la classe dominante; au contraire, elle participe à l’idéologie dominante qui individualise et camoufle l’exploitation et l’oppression, tout en divisant la lutte contre le système, précisément parce que l’unité dans la lutte est étrangère à la théorie queer.
Bien qu’elle fut à l’origine une critique des politiques identitaires traditionnelles des années 1970 et 1980, avec leur mentalité insulaire et leurs querelles internes, elle n’a pas pu surmonter ce même type de politiques identitaires. Puisque nous ne pouvons pas échapper à l’omniprésence du pouvoir dans la société, il est également impossible d’échapper aux identités, même si elles sont vues comme fictives.
Puisque les identifications « se réaliseraient de toute façon dans le champ du pouvoir de la sexualité » (TDLG, p. 106), et que nous ne pouvons qu’espérer « parodier » ces identités, la théorie queer, qui se voulait à l’origine une critique des politiques identitaires, revient à la case départ : aux politiques identitaires. En pratique, les vieilles disputes, à savoir qui peut représenter qui, continuent sans gêne, tout comme dans les cercles de féministes radicales (et contre ces dernières). Butler mentionne justement : « Bien entendu, il ne s’agit pas ici de refuser la politique de représentation – comme si c’était possible. » (TDLG, p. 65)
Toute forme d’action collective et de lutte qui unirait tous les opprimés devient une bataille, puisque « l’unité » et la « représentation » mène automatiquement à l’exclusion et l’oppression violente : « l’unité ne s’obtient que par suppression violente » (Butler, Simplement culturel?, p. 183).
Cela mène à une individualisation de ceux qui s’opposent au système oppressif dans lequel nous vivons. Par exemple, la féministe queer Franziska Haug se plaint que « l’identité des individus – origine, culture, genre, etc. – devient le coeur du sujet » dans les débats féministes queer, et que « le droit de parler et de lutter se décide selon l’identité du locuteur » (Haug, p. 236, notre traduction). Il y a une compétition pour déterminer qui est le plus opprimé et a par conséquent le droit de parole, personne ne pouvant s’y opposer. Contre les arguments importuns, on entend souvent des accusations du genre « toi, parce que tu es un homme blanc / une femme cis / une personne trans blanche, tu ne peux pas être en désaccord avec moi ou contredire mon point de vue subjectif ».
Tout en essayant de n’exclure personne par des « généralisations violentes », on crée d’innombrables identités qui sont supposées couvrir toutes les combinaisons imaginables de préférences sexuelles et romantiques et de genres, et régies par une panoplie de cliques queer. Plutôt qu’une lutte unissant tous ceux qui désirent se battre contre le système, cette logique mène souvent à la persécution collective et à l’exclusion au sein des différents groupes. Une féministe queer en donne un témoignage vif dans son article « Feminist Solidarity after Queer Theory » (« Solidarité féministe après la théorie queer »), qui se lit presque comme un extrait angoissé d’un journal intime :
« Malgré mes réticences à propos du mot “bisexuel”, ce qualificatif me donne une sorte de nouveau chez-moi, alors que tout autre me convient plus mal. Les espaces hétérosexuels et lesbiens offrent leur propre confort aux femmes, et j’ai souvent été exclu des deux. Je me suis aussi fait dire que j’avais besoin de changer pour entrer dans ces espaces – en acceptant ma vraie hétéro- ou homosexualité – et j’ai ressenti ces demandes comme des moments de vérité autant que comme de l’hypocrisie et de la suffisance […] C’est à la fois nécessaire et troublant de chercher un chez-soi en tant que personne genrée ou sexuelle : nécessaire parce que la communauté, la reconnaissance, et la stabilité sont essentielles à l’épanouissement humain et à la résistance politique, et troublant parce que ces pratiques se cristallisent trop souvent en idéologies politiques et en groupes exclusifs et hégémoniques. » (Cressida J. Heyes, p. 1097, notre traduction)
À partir de ces lignes, nous pouvons sentir la misère que créent les pressions et l’oppression du capitalisme ainsi que leurs effets sur notre psyché et notre estime de soi. Mais elles montrent aussi l’impasse des politiques identitaires. Alors que le texte vise à trouver une forme de solidarité féministe, il ne peut imaginer une unité qui n’est pas fondée sur l’identité. En pratique, les politiques identitaires mènent à une division du mouvement. Par exemple, depuis des années, il y a à Vienne deux marches différentes lors de la journée de la femme, le 8 mars : l’une organisée par les féministes radicales (où seules peuvent participer les femmes et, dans un des blocs, les personnes LGBT), et l’autre par des activistes queer (où aucun homme cis n’était invité au début, quoique depuis 2019 tous ceux qui se considèrent comme féministes sont bienvenus). Les organisateurs de part et d’autre ont refusé à plusieurs reprises d’unir leurs manifestations. Cet exemple révèle les divisions que produisent les politiques identitaires, dans le contexte d’une résurgence de mouvements de masse axés sur les droits des femmes partout dans le monde et considérant les potentialités souterraines en Autriche malgré le gouvernement de droite.
Il est parfaitement naturel que beaucoup de personnes, particulièrement chez les jeunes, remettent en question les normes sociales établies, notamment en matière de sexualité et de rôles de genre. Tel a toujours été le cas, et en tant que marxistes, nous défendons le droit de toute personne de s’exprimer et de s’identifier comme elle le souhaite. Mais le problème survient lorsque l’expérience personnelle des individus est théorisée, élevée au niveau de principes philosophiques et généralisée pour toute la société et la nature. Les partisans de la théorie queer nous disent qu’être queer ou non-binaire est progressiste, voire révolutionnaire, contrairement à l’identité binaire (ex : homme ou femme, donc la majorité de l’humanité), qui est considéré réactionnaire. Ici, cependant, c’est la théorie queer qui montre son côté réactionnaire. Malgré toutes ses déclarations contre l’oppression, elle s’oppose à une lutte des classes unie et encourage une atomisation des individus en fonction de leurs préférences sexuelles et personnelles, divisant ainsi la classe ouvrière en unités de plus en plus petites. Pendant ce temps, tout le système capitaliste corrompu, basé sur l’exploitation et l’oppression, reste en place.
Pour l’unité de la classe ouvrière!
Pour les marxistes, l’unité dans la lutte n’est fondée ni sur la culture, ni sur l’identité, et n’est pas question morale. Nous défendons plutôt la nécessité de l’unité de la classe ouvrière parce qu’il s’agit de la seule force qui peut mettre fin à l’exploitation et à l’oppression, étant donné son rôle dans le processus productif du capitalisme.
Notre société est fondamentalement définie par notre mode de production, car la production de la nourriture, des maisons, de l’énergie – de tout ce dont nous avons besoin pour vivre – constitue la base de notre façon de vivre. Y a-t-il assez de nourriture pour permettre le développement de la science et de la culture au-delà de la simple survie de l’espèce? Est-ce que la science peut développer nos moyens de production de sorte qu’on puisse réduire la quantité de travail nécessaire et libérer du temps pour la recherche, l’éducation, etc.? La base économique détermine comment nous travaillons et vivons au sein de notre société, et, en conséquence, quelles morales, lois ou valeurs dominent (quoique cette relation n’est pas mécanique, comme les critiques de Marx aiment le prétendre, mais bien dialectique).
Notre société est divisée en classes qui ne sont pas définies culturellement ni simplement par la richesse ou la pauvreté (qui est plutôt une conséquence de l’appartenance de classe), mais par le rôle que l’on occupe dans le processus de production. Sous le capitalisme, les classes principales sont les capitalistes, qui détiennent les moyens de production tels que les usines et la terre, et les travailleurs, qui doivent vendre leur force de travail afin de pouvoir survivre grâce au salaire qu’ils gagnent. Il y a donc une contradiction du fait que la grande majorité des gens produisent de manière sociale dans des usines et des entreprises, au sein d’une division du travail à l’échelle mondiale, alors que les fruits de ce travail sont appropriés par une minuscule minorité. Puisque cette minorité de capitalistes produisent en concurrence, sous l’anarchie du marché mondial et seulement pour leur propre profit, cela mène à des crises régulières, et c’est la raison pour laquelle les ressources de notre société ne peuvent pas être utilisées pour garantir un bon niveau de vie pour toute l’humanité. Cette exploitation est le facteur décisif à la base de l’oppression et de la discrimination. Le socialisme signifie qu’on doit résoudre cette contradiction entre la production sociale et la propriété privée, en mettant la production sous le contrôle de la société, c’est-à-dire en expropriant la minorité capitaliste parasitaire.
Il s’ensuit donc que l’unité de la classe ouvrière est ancrée dans les conditions actuelles. Obtenir un meilleur niveau de vie pour la classe ouvrière – de meilleurs salaires, des journées de travail plus courtes, un système de services sociaux de qualité – va nécessairement contre les intérêts des capitalistes, car cela réduirait leurs profits. Les marxistes ont comme tâche de rendre ces intérêts communs de la classe ouvrière aussi visibles que possible pour consolider notre unité, car nous ne pourrons renverser ce système d’exploitation qu’en nous unissant. C’est pourquoi les marxistes luttent fermement contre toute forme de division, à savoir le racisme, les préjugés sur la sexualité, et toute autre forme de discrimination, qu’elle provienne de politiciens, de capitalistes ou d’autres travailleurs. Nous sommes contre toute forme de discrimination, mais contrairement aux politiques identitaires, nous ne considérons pas que les intérêts des différents genres, des différentes orientations sexuelles, etc., sont fondamentalement opposés les uns contre les autres. En revanche, les différents intérêts de classe le sont (c’est-à-dire qu’une classe perd ce que l’autre gagne).
Objectivement, il y a amplement de richesses dans notre société pour que tout le monde puisse bénéficier d’une vie confortable. Il y a suffisamment de nourriture, et nous avons des technologies qui pourraient réduire drastiquement nos heures de travail tout en remplissant les tâches nécessaires au fonctionnement de la société. Nous possédons aussi tous les moyens nécessaires pour socialiser les travaux domestiques (nettoyage, préparation de la nourriture, garde et éducation des enfants, soins aux personnes âgées, etc.), qui aujourd’hui sont réalisés en grande partie au sein de l’institution de la famille. Nous pourrions atteindre cet objectif en établissant des cuisines communautaires et des maternelles publiques, et en investissant dans un bon système de santé et d’aide sociale. Ces mesures élimineraient la base matérielle de la famille sous le capitalisme, qui enferme les femmes dans une cage oppressive et constitue la source de la discrimination basée sur le sexe ou le genre. Sans les pressions matérielles et la dépendance, les relations humaines pourraient évoluer en associations véritablement libres, ce qui représenterait une grande avancée pour toutes les femmes ainsi que les hommes. La science, l’éducation, la culture et le langage seraient libérés du motif du profit et des intérêts de la classe dominante, qui cherche constamment à nous diviser et à nous empêcher d’améliorer notre condition. La culture humaine atteindrait des sommets inimaginables. En comparaison, les revendications modestes des théoriciens queer, qui demandent un nouveau vocabulaire et des espaces libres, montrent à quel point ils s’en tiennent aux limites étroites du capitalisme.
Bien sûr, cela ne signifie pas que ces accomplissements culturels seront réalisés « automatiquement » ou « par eux-mêmes » simplement parce que les grandes entreprises et les banques ont été expropriées. Mais nous devons saisir concrètement la véritable relation entre la base matérielle et la culture, entre la révolution et le langage.
L’acte de révolution signifie l’entrée des masses sur la scène de l’histoire. C’est le processus par lequel les masses prennent leur destin en main et ne se laissent plus dicter leur vie par d’autres. Dans toutes les révolutions dans l’histoire, les masses de la classe ouvrière ont fait preuve d’une incroyable créativité et ont commencé à éliminer les déchets de l’ancienne société.
Dans son texte Il faut lutter pour un langage châtié, Trotsky décrit comment, après la révolution russe, le combat contre le langage grossier et les « gros mots » fut accompli. Dans un pays extrêmement arriéré qui commençait à peine à s’atteler à la tâche de révolutionner la société, à une époque où la « philosophie du langage » n’avait pas encore de nom, les travailleurs d’une usine de souliers appelée « La Commune de Paris » ont décidé en assemblée générale de proscrire le langage grossier dans leur lieu de travail et d’imposer une punition si cette décision était enfreinte. Trotsky écrit :
« [L]a révolution est avant tout et surtout un éveil du sens de l’humain; elle permet de progresser, de faire plus attention à sa dignité propre et à celle des autres, d’aider les gens faibles et sans défense […] Et peut-on créer – même de façon parcellaire et limitée – une vie nouvelle fondée sur le respect mutuel, sur le respect envers soi-même, sur l’égalité de la femme, sur un véritable souci des enfants, dans une atmosphère où résonne, gronde, éclate le langage grossier des maîtres et des esclaves, un langage qui n’a jamais épargné rien ni personne? Il est aussi nécessaire pour la culture de l’esprit de lutter contre la grossièreté du langage qu’il est nécessaire pour la culture matérielle de combattre la saleté et les poux. »
Cette lutte n’est pas linéaire, ni facile, car la conscience se développe de manière contradictoire. Comme le soulignait Trotsky dans le même texte :
« Voici par exemple un communiste authentique, dévoué à sa tâche, mais pour lui, les femmes ne sont que des “babas” (quel mot grossier!), dont on ne peut parler sérieusement. Ou encore, à propos de la question nationale, un communard émérite émettra soudain une bordée d’injures [réactionnaires] et propres à faire fuir. Cela est dû au fait que les différents domaines de la conscience ne se transforment pas et n’évoluent pas parallèlement ni en même temps. Ici aussi on trouve une économie particulière. Le psychisme est tout à fait conservateur; dans la conscience, seuls se transforment les éléments directement soumis aux exigences de la vie. »
La lutte pour une culture de camaraderie et d’humanité n’est donc pas simplement terminée après une révolution. Cependant, la révolution crée les conditions dans lesquelles la lutte commune et unie pour une telle culture peut être développée librement et de manière réellement autodéterminée. Après la révolution russe, des femmes révolutionnaires ont été envoyées dans tout le pays et ont promu des programmes éducatifs et des efforts d’organisation massifs, dans le but de soutenir le développement d’une telle culture. Ce mouvement, le « Jenotdel », a ensuite été aboli par Staline en 1930. Trotsky a dit, à propos du rôle des femmes révolutionnaires, qu’elles doivent être le bélier moral dans les mains d’une société socialiste qui brise le conservatisme et les vieux préjugés.
« [U]ne fois encore, cette tâche est terriblement complexe; elle ne sera pas résolue de façon scolaire ni littéraire, car les contradictions et les désordres du psychisme trouvent leurs racines les plus profondes dans la confusion et la désorganisation du mode de vie. La conscience, en fin de compte, se définit par l’être. Mais la dépendance n’est ici ni mécanique, ni automatique; elle est réciproque. C’est pourquoi il faut aborder le problème de diverses manières, y compris celle des ouvriers de l’usine « La Commune de Paris ». Souhaitons-leur de réussir! » (ibid.)
Il y a un fossé énorme entre les campagnes LGBT d’aujourd’hui, purement symboliques et avec la permission du patronat, où l’exploitation de classe et l’aliénation psychologique de soi sont maintenues, et la campagne organisée par les travailleurs de l’usine de souliers « La Commune de Paris », qui avaient le contrôle total de leurs propres conditions de travail – y compris la culture linguistique! Il n’est pas difficile d’imaginer laquelle de ces deux campagnes s’enracinerait le plus profondément et fonctionnerait le mieux.
L’objectif de parvenir à une culture et à un langage empreints d’humanité est compréhensible et correct, mais l’orientation politique consistant à créer un nouveau langage d’égalité, sans s’attaquer également à la véritable inégalité sociale, est une dangereuse illusion et, en fin de compte, une impasse. Une culture véritablement humaine et libre naîtra de la lutte commune pour l’émancipation de la classe ouvrière, qui façonnera notre conscience, brisera des générations de préjugés et jettera les monstrueuses discriminations, le racisme, le sexisme, la violence et la dégradation des femmes et des minorités dans les poubelles de l’histoire.
Finalement, devrions-nous nous appeler des marxistes « queer »?
Ce que nous avons expliqué ci-dessus a montré que, en partant d’une compréhension de ce qu’est réellement le monde, de comment (ou si) nous pouvons le changer et des conclusions pratiques qui en découlent, la théorie queer et le marxisme sont des théories irréconciliables. Et pourtant, encore et encore, certains tentent de les combiner et de les présenter comme étant mutuellement compatibles.
Ces efforts sont rarement plus qu’une tentative maladroite pour s’approprier l’étiquette du marxisme afin de se donner un degré de crédibilité radicale, tout en déformant complètement son essence dans le processus. Il y a cependant certaines personnes à gauche qui, sans doute avec des intentions honnêtes, soutiennent que nous devrions adopter l’étiquette « marxisme queer ».
L’argument le plus courant soulevé par ces personnes est qu’il y a « quelque chose qui manque » au marxisme, c’est-à-dire qu’il est incapable de comprendre spécifiquement l’oppression fondée sur la sexualité. Il devrait être évident, à la lecture du présent article, que nous avons fourni suffisamment d’arguments pour contrer ces affirmations.
Cependant, un autre argument populaire de nature tactique est parfois soulevé. Il se décline plus ou moins comme suit : il faut s’appuyer sur une base marxiste solide, mais afin de rendre le marxisme plus attrayant pour les personnes de toutes les identités, et en raison de sa mauvaise réputation, se dire « marxistes queer » peut envoyer un signal clair d’inclusion. Et quel mal cela pourrait-il faire si cela ne fonctionne pas immédiatement? Si ça n’aide pas, ça ne fait pas de mal non plus, prétend cet argument.
Holly Lewis fournit un exposé assez détaillé de cette façon de raisonner dans son livre The politics of everybody (2016), que nous allons donc aborder brièvement ici. Dans son livre, Lewis se revendique de façon assez embarrassée de la « vieille approche démodée du matérialisme de Marx », y compris de son orientation vers la classe ouvrière comme moyen de changer le monde (Lewis, p. 91). Elle dit avoir écrit son livre pour rendre le marxisme attrayant pour les activistes queer et féministes et, inversement, pour familiariser les marxistes avec les politiques féministes, queer et trans et leurs origines (Lewis, p. 14).
En surface, le marxisme queer pourrait apparaître à certains comme un bon moyen de gagner les personnes queer au marxisme et de les intégrer dans la lutte contre le capitalisme. Mais affirmer que nous avons besoin d’un « marxisme queer » conduit inévitablement à le différencier du « marxisme classique », précisément pour justifier pourquoi il doit y avoir un « marxisme queer » en premier lieu. Cela crée une fissure entre les deux et ouvre la porte par laquelle des idées de classe étrangères et des concessions idéologiques s’infiltrent.
Après avoir passé un bon tiers de son livre à essayer d’expliquer les fondements du marxisme, Holly Lewis en arrive exactement à ce point. En tant que marxiste queer féministe, elle veut intégrer les perspectives internationales queer, trans et intersexes dans l’analyse matérialiste et marxiste du sexe et du genre (p. 107).
Et quelles sont ces perspectives particulières qui, selon elle, peuvent expliquer les formes spécifiques d’oppression mieux que le marxisme « normal et ennuyeux »? Ici, tous les vieux arguments sont déballés, comme l’idée que Marx et Engels étaient des produits de leur temps et donc, bien sûr, sexistes, Engels étant un peu plus sexiste que Marx. Elle construit ensuite, comme le font souvent les révisionnistes, une prétendue contradiction entre Marx et Engels, ce dernier n’ayant supposément pas correctement saisi la nature de l’oppression des femmes, ce que son livre L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État confirmerait apparemment. Elle rejette la compréhension marxiste du rôle de la famille dans le capitalisme et sape progressivement les fondements mêmes du marxisme, notamment son analyse matérialiste historique. En ce qui concerne la question du genre, elle en arrive finalement à des formulations vagues sur la prétendue (non-)existence des genres.
Cependant, même sur cette base philosophique floue, il lui est presque impossible d’utiliser le moindre aspect de la théorie queer de manière positive. Elle se raccroche donc désespérément au concept de performativité qui postule que les rôles de genre sont internalisés par des actions répétitives.
« Loin d’être incompatible avec l’analyse matérialiste, l’intervention de Butler s’intègre parfaitement à la conception de Fields[3] de l’idéologie comme une répétition d’actions qui trouvent leur origine dans les relations sociales, mais des actions qui continuent à être normalisées par l’habitude, l’expérience et la logique organisationnelle d’une société donnée. » (Lewis, p. 199, notre traduction)
Ainsi, le marxisme et la théorie queer sont présentés non pas comme s’excluant mutuellement et servant des intérêts de classe divergents, mais comme coexistant pacifiquement, n’importe qui pouvant en emprunter des morceaux individuels et les mélanger au hasard.
Nous devons être clairs sur ce point. Le marxisme se base sur un ensemble de lois dérivées de la nature et, par conséquent, plus notre compréhension scientifique de la nature progresse, plus nous pouvons développer ces lois générales. Il est nécessaire de confronter constamment nos analyses à la réalité et, si nécessaire, de les adapter, et aussi d’explorer en profondeur les nouveaux phénomènes. Cependant, cela est totalement différent d’une capitulation devant les idéologies bourgeoises et d’un compromis avec l’idéalisme.
La plus grande erreur de Lewis n’est pas d’expliquer que les idéologies sont renforcées dans l’esprit des gens par des rituels et des performances (ce qui est une observation vraie, bien que banale). Plutôt, le problème est qu’à partir de ce détail, elle fait passer la théorie queer pour un « allié » acceptable. En fin de compte, le nœud du problème est qu’elle ne comprend pas les conséquences des idéologies bourgeoises pour la classe ouvrière, ni le rôle des dirigeants bureaucrates et des intellectuels, qui reprennent ces idéologies et les diffusent au sein du mouvement et des organisations de la classe ouvrière.
La classe dirigeante dispose de nombreux moyens pour corrompre la direction du mouvement ouvrier et pour soutenir les individus qui, au sein du mouvement, défendent et diffusent des idéologies (petite-) bourgeoises. Il y a des emplois dans le gouvernement et l’appareil d’État à donner, il y a le soi-disant « partenariat social » entre le capital et le travail, dans lequel les bureaucrates des syndicats et des partis ouvriers se sentent sur un pied d’égalité avec la bourgeoisie. Au lieu de défendre les intérêts de la classe ouvrière, les travailleurs ne sont pour eux que des pions qu’ils peuvent déplacer pour défendre leurs propres positions bureaucratiques. Ils encouragent et découragent les luttes des travailleurs comme l’on ouvre ou ferme l’eau du robinet, afin de renforcer leur pouvoir de négociation. Les idéologies petites-bourgeoises, comme le féminisme, qui détournent l’attention de la lutte des classes, mais qui ont une « image de gauche », sont reprises avec enthousiasme par les bureaucrates car elles servent bien leurs propres intérêts. Les intellectuels des universités qui défendent leurs propres subventions, postes et chaires de recherche développent ces idéologies pour justifier leur pratique et, sciemment ou non, jettent du sable dans les yeux des militants qui cherchent des réponses.
Dans l’abstrait, Lewis convient que la théorie queer et ses semblables peuvent effectivement être utilisées de manière réactionnaire, et qu’elles sont l’expression d’une petite bourgeoisie économiquement précaire. Cependant, elle reste silencieuse sur le rôle concret que ces idéologies jouent au sein des mouvements sociaux. Elle finit donc par servir de vernis de gauche au réformisme et à la bureaucratie. Cela devient évident lorsqu’elle écrit sur des événements historiques concrets, par exemple la trahison de la Deuxième Internationale.
En 1914, la plupart des partis ouvriers d’Europe, alors réunis au sein de la Deuxième Internationale, ont voté dans leurs parlements nationaux respectifs en faveur des crédits de guerre pour financer la Première Guerre mondiale. Ils ont ainsi sanctionné une guerre impérialiste dans l’intérêt des capitalistes. Seule une poignée de révolutionnaires, dont Lénine et Rosa Luxemburg, ont résisté à cette vague de chauvinisme. Comment Lewis explique-t-elle cette trahison historique de la part des dirigeants sociaux-démocrates?
Selon elle, les représentants des partis sociaux-démocrates ont accepté la Première Guerre mondiale et ont capitulé devant le chauvinisme national parce qu’Eduard Bernstein et Karl Kautsky, dans leurs écrits tels que le Programme d’Erfurt, avaient popularisé une compréhension superficielle des idées de Karl Marx, et « de telles distorsions ont finalement conduit les membres de la Deuxième Internationale à voter que les partis socialistes devaient soutenir leurs nations respectives dans la Première Guerre mondiale » (Lewis, p. 63, notre traduction).
Cette présentation des faits, cependant, renverse la réalité, car elle ignore le contexte dans lequel les distorsions du marxisme sont apparues à cette époque. Avant la Première Guerre mondiale, une couche de bureaucrates s’étaient habitués à leur vie assez confortable de parlementaires et, face à une longue période d’essor économique, avaient déclaré que la révolution n’était pas nécessaire. Leur trahison n’était pas une simple incompréhension des enseignements « purs » du Capital, ni une simple bataille idéologique sur un terrain égal, mais l’expression d’une couche de bureaucrates au sein des partis ouvriers qui préféraient leurs positions confortables à un dur conflit de classe, y compris une guerre révolutionnaire contre « leurs » propres capitalistes nationaux. Le résultat n’a pas seulement été une déviation idéologique, mais s’est traduit par un soutien concret au massacre des travailleurs pendant la guerre, et par la trahison de nombreux mouvements révolutionnaires dans les années qui ont suivi la guerre : en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, etc. C’est ainsi que l’occasion de gagner la bataille pour le socialisme international, qui était à portée de main, a été noyée dans le sang, ce qui a finalement conduit à la montée du fascisme en Europe.
La description que fait Lewis des syndicats aux États-Unis dans les années 1980 et 1990 va dans le même sens, en occultant le rôle négatif de la bureaucratie au sein du mouvement. Cherchant à expliquer pourquoi les organisations traditionnelles de la classe ouvrière syndiquent si peu de personnes queer ou trans, elle écrit :
« Cependant, l’échec ne réside peut-être pas dans les politiques ou les habitudes des syndicats et des organisations, mais dans le fait que les organisations syndicales et socialistes elles-mêmes ont une influence déclinante sur la classe ouvrière sous le néolibéralisme. Ironiquement, les personnes queer et transgenres de la classe ouvrière peuvent transformer la politique de la classe ouvrière en renforçant les structures de pouvoir en déclin de la classe ouvrière. » (p. 165)
Elle poursuit : « La délocalisation des emplois avait entraîné un déclin continu des effectifs syndicaux au cours des années 1980 et 1990 […] Malgré toutes les insuffisances du syndicalisme d’affaires américain, il aurait fallu un mouvement syndical international fort pour défier le néolibéralisme. » (p. 208-209, notre traduction)
Quelles sont donc, selon elle, les raisons de la baisse des effectifs syndicaux? Pour elle, cela s’est produit à cause du « néolibéralisme », qui a fait pression sur les syndicats avec des menaces de délocalisation. La deuxième raison sérieuse qu’elle donne est la faiblesse du mouvement syndical international, et ce n’est qu’après ces facteurs qu’elle voit qu’il est en quelque sorte également pertinent de mentionner le syndicalisme d’affaires.
Cette façon de voir les choses finit en fait par suggérer que toute lutte à cette époque était futile au départ. Cela occulte également le rôle de la bureaucratie syndicale de droite qui observait en silence alors qu’un certain nombre de grandes attaques étaient menées par les patrons et par le gouvernement. Par exemple, lorsque le président Reagan a scandaleusement brisé la grève des contrôleurs aériens de PATCO en 1981 en utilisant des briseurs de grève militaires et en interdisant ensuite à 19 000 travailleurs de travailler à nouveau dans ce secteur, les dirigeants de l’AFL-CIO n’ont même pas pensé à organiser des grèves de solidarité pour les défendre. En 1995, les dirigeants de l’AFL-CIO ont fermé leur département international et l’ont remplacé par un « centre de solidarité », qui recevait 90 % de son budget de l’État et qui a, par exemple, soutenu le coup d’État de 2002 contre le président vénézuélien Hugo Chavez. Ils ont ainsi directement contribué au mauvais état dans lequel se trouvait le mouvement ouvrier international! L’argent des syndicats a davantage servi à financer l’appareil du parti démocrate qu’à organiser des campagnes pour les droits des travailleurs. Et la liste est longue. Cela montre clairement que toute argumentation qui ignore le rôle spécifique de la bureaucratie finit inévitablement par obscurcir leur traîtrise.
Le fait de ne pas comprendre comment les mouvements réels et leurs dirigeants progressent, et comment les idéologies (petite-) bourgeoises font le jeu des intérêts contre-révolutionnaires au sein du mouvement, conduit à la conclusion erronée qu’entre la théorie queer et le marxisme existe une concurrence loyale entre deux idées également valables.
Mais les capitalistes ne font pas seulement pression sur les minorités et les couches opprimées de la société, mais aussi sur les révolutionnaires. Dans les syndicats, les délégués syndicaux critiques sont isolés, dans les partis ouvriers de masse, les marxistes sont vilipendés ou expulsés, et sur le marché du travail, être membre d’une organisation révolutionnaire n’est généralement pas la meilleure des références.
Il est crucial de défendre fermement les idées du marxisme si nous voulons mener les révolutions à la victoire, autrement nous nous préparons à la défaite. Cependant, nous devons tenir compte du fait que la classe dirigeante et ses laquais essaieront toujours de rendre cela aussi difficile que possible.
Les universitaires qui tentent de dépouiller le marxisme de son contenu révolutionnaire au nom de quelques idées nouvelles ou à la mode ne servent pas seulement les intérêts de la classe dirigeante en reprenant ce qui peut apparaître comme des « idées inoffensives », mais qui sont fondamentalement petite-bourgeoises – comme le féminisme, avec toutes ses idées consistant à blâmer les hommes dans leur ensemble pour l’oppression des femmes, plutôt que de voir cette oppression comme découlant de la division de la société en classes. Les dirigeants réformistes des syndicats et des partis ouvriers se sont également perfectionnés dans l’art de prononcer des discours radicaux lors de réunions internes, pour ensuite devenir les plus fidèles partisans du capital dans la société dans son ensemble.
La lutte unie est l’arme la plus importante que la classe ouvrière possède et qui peut nous libérer. Le marxisme défend cette unité avec constance jusqu’au bout. Le marxisme lutte donc pour l’inclusion de toutes les personnes, indépendamment de leurs origines ethniques, de leur sexe, de leur identité, de leur religion, etc., dans la lutte contre la classe dirigeante, le système capitaliste et toutes les formes d’oppression qui en découlent. Nous rejetons toute idéologie qui conduit à une pratique qui bloque, ralentit ou rend impossible cette lutte, aussi « moderne » ou radicale qu’elle puisse paraître. Cela inclut également la théorie queer. La soi-disant « amélioration » du marxisme avec des ajouts queer ou féministes signifie l’affaiblissement idéologique du marxisme. Cet affaiblissement ne sert finalement pas à gagner des personnes d’identités et d’orientations sexuelles différentes à notre mouvement. Au contraire, il est utilisé comme un moyen par lequel les carriéristes (petit-) bourgeois peuvent se cacher derrière ce qui semble être une position radicale tout en utilisant le mouvement ouvrier et ses organisations pour promouvoir leurs intérêts personnels. Par conséquent, brouiller la ligne de démarcation entre le marxisme et la théorie queer est une entrave à notre lutte pour l’émancipation de l’humanité de toutes les formes d’exploitation et d’oppression.
Ce n’est qu’en rompant avec la bourgeoisie à tous les niveaux (sur le plan autant idéologique que pratique, en refusant la collaboration de classe et la corruption par l’argent et les postes de l’État qui y est associée) que nous pourrons renverser le capitalisme et prendre notre destin en main. Nous invitons tous les anticapitalistes à nous rejoindre dans cette lutte.
Sources :
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Trotsky, Leon (1923) : Il faut lutter pour un langage châtié, in : Les questions du mode de vie. https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/qmv/qmv9.html.
Trotsky, Leon (1926) : Culture et socialisme. https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/litterature/culture.htm.
Weedon, Chris (1991) : Wissen und Erfahrung: feministische Praxis und poststrukturalistische Theorie. efef Verlag, Zürich.
[1] Hétérosexualité obligatoire est un terme couramment utilisé dans la théorie queer. Inventé en 1980, il exprime l’idée que l’hétérosexualité est une institution socialement construite, semblable au racisme.
[2] « L’intérêt pour Nietzsche et Bataille n’était pas une manière de nous éloigner du marxisme ou du communisme. C’était la seule voie d’accès vers ce que nous attendions du communisme. […] Nous étions à la recherche d’autres voies pour nous conduire vers ce tout autre que nous croyions incarné par le communisme. C’est pourquoi en 1950, sans bien connaître Marx, refusant l’hégélianisme et me sentant mal à l’aise dans l’existentialisme, j’ai pu adhérer au Parti communiste français. » (Entretien avec Duccio Trombadori, Paris, fin 1978. Dits et écrits (1954-1988), tome IV, texte 281.)
[3] Barbara Fields, une chercheuse en sciences sociales spécialisée dans la recherche sur le racisme.