Dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, la marine américaine a lancé une série d’attaques de missiles sur la base aérienne de Shayrat, dans la province de Homs, en Syrie. Sept personnes auraient été tuées et plusieurs avions de combat auraient été détruits ou endommagés.
Sans aucune enquête et sans se préoccuper du soutien d’une quelconque institution internationale, Trump a lancé une frappe unilatérale contre les forces du gouvernement syrien, contredisant complètement ses positions récentes contre une intervention en Syrie.
Cette attaque serait justifiée par l’utilisation d’armes chimiques dans la ville de Khan Sheikhoun, dans le nord-ouest de la Syrie, une ville qui a été la cible de l’aviation syrienne. Bien sûr, il n’y a pas de preuves de ce qu’il s’est réellement passé et de qui a fait quoi. La majorité des « experts » cités dans les médias occidentaux viennent d’organisations comme Médecins Sans Frontières – ou encore les Casques Blancs, une organisation largement discréditée qui aurait des liens avec Al Qaeda et, plus largement, avec le mouvement islamiste en Syrie. En fait, la province d’Idlib, où est situé Khan Sheikhoun, est contrôlée par la branche syrienne d’Al Qaeda, appelée Hayat Tahrir Al-Sham (HTS). Toutes les informations venant de la région sont fermement contrôlées par les islamistes et il n’y a aucun moyen de confirmer quoi que ce soit.
Bien sûr, le régime d’Assad est tout à fait capable de mener ce genre d’attaque. Mais il n’a rien à gagner à utiliser des armes chimiques en ce moment. Il est en position de force dans la guerre civile, grâce au soutien de la Russie. Il avance sur le terrain et il était à quelques jours de « pourparlers de paix » qui auraient consolidé sa position. Les représentants de l’administration Trump ont répété qu’ils voyaient Assad comme la seule force capable de battre les islamistes et de stabiliser la Syrie. Cependant, une autre aile de la classe dirigeante américaine est très inquiète que les Etats-Unis concèdent du terrain à Assad et aux Russes. Cette aile, qui soutient l’Arabie Saoudite, voit la victoire d’Assad, de la Russie et de l’Iran comme une menace pour ses positions dans la région.
Leurs marionnettes, le HTS et ses alliés, sont affaiblies depuis la reprise d’Alep en décembre 2016. Cela a été mis clairement en évidence, il y a seulement quelques semaines, quand les Saoudiens et les groupes d’Idlib soutenus par la CIA ont dû rapidement battre en retraite après qu’ils se sont lancés dans une offensive de grande envergure contre la ville d’Hama. Cette offensive était d’ailleurs une rupture majeure du cessez-le-feu sur lequel s’étaient entendus les principaux belligérants, en décembre dernier. Ainsi, l’actuel tournant de la situation bénéficie aux islamistes et à leurs soutiens bien plus qu’à tous les autres acteurs.
En bref, il n’y a pas de preuves définitives que le régime d’Assad a mené une attaque chimique. Mais l’absence de preuves n’a jamais empêché l’impérialisme américain de bombarder qui que ce soit.
Les armes chimiques sont une composante particulièrement cruelle de la guerre. Mais prendre prétexte de l’usage de ces armes pour se livrer à une opération de propagande montre le cynisme nauséabond des impérialistes. Comme si la guerre sans fin, la mort de centaines de milliers d’enfants et la destruction des bases même d’une vie civilisée étaient moralement acceptables tant que ces tueries sont uniquement faites avec des épées, des fusils, des bombes, des frappes aériennes et des sanctions!
Il y a seulement quelques semaines, l’opération à Mossoul, soutenue par les puissances occidentales, a dû être interrompue après que plus de 200 civils, qui se cachaient dans un sous-sol, ont été tués par une frappe aérienne américaine. La véritable raison de cette pause n’était pas la mort de civils, mais bien que le peuple de Mossoul, qui a vécu sous la domination de l’Etat Islamique (EI) ces dernières années, est devenu de plus en plus hostile à l’égard des forces irakiennes et des forces de la coalition. Bien sûr, quand les Russes et les Syriens bombardaient Alep, les larmes de crocodile et les condamnations coulaient à flots. Mais personne ne parle de Mossoul aujourd’hui.
Le Yémen est un autre sujet ignoré. 13 millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont intentionnellement affamés par la pourrissante monarchie saoudienne. Des écoles et des hôpitaux sont bombardés quotidiennement avec des armes à sous-munitions interdites, vendues aux Saoudiens par les compagnies britanniques et américaines. L’impérialisme britannique et américain y tient un rôle de soutien logistique, de renseignement et de soutien naval pour la guerre et le blocus.
Aucune puissance n’a tué autant de gens au Moyen-Orient que l’impérialisme américain. L’occupation de l’Irak a également été justifiée par des « sources d’experts », mais les accusations relatives aux armes chimiques et autres armes de destruction massive se sont avéré fausses. Selon l’organisation des Physiciens pour la Responsabilité Sociale, lauréat d’un Prix Nobel, cela a directement mené à la mort de plus d’un million de personnes. Avant cela, l’ONU elle-même estime que 1,7 million de civils irakiens sont morts des suites des sanctions imposées par les Etats-Unis. Ce sont presque 3 millions d’Irakiens qui ont été tués par les Etats-Unis depuis 1990. Et que dire de l’uranium appauvri utilisé dans les deux guerres en Irak ? Ou bien des bombes au phosphore blanc, lâchées sur Falloujah en 2004 par les troupes américaines, qui jusqu’à ce jour font que cette ville compte le plus haut taux d’anomalies congénitales ? En 1996, Madeleine Albright disait à ce propos : « nous pensons que c’est le prix à payer ».
En s’embarquant dans sa guerre barbare en Irak, l’impérialisme américain a déstabilisé toute la région. En Syrie, les Etats-Unis et ses alliés régionaux (Turquie, Jordanie et Arabie Saoudite) sont intervenus pour détourner le mouvement révolutionnaire naissant vers un conflit sectaire et réactionnaire. Le soutien direct et indirect à Al Qaeda et aux autres organisations djihadistes réactionnaires a créé un monstre, tel Frankenstein, qui hantera comme la peste toute la région, de même que l’occident, pour les décennies à venir.
Pour Donald Trump et la classe dirigeante américaine, il est évident que le destin des Syriens ou de n’importe quel autre peuple importe peu. Ils se fichent bien de savoir qui a tué qui et s’ils ont utilisé ou pas des armes chimiques. Le changement soudain de la politique de Trump à l’égard d’Assad est un virage à 180 degrés par rapport à sa position adoptée il y a à peine quelques semaines, quand il déclarait que la seule issue au désordre passait par des efforts conjoints avec la Russie et Assad. Il est évident que Trump subit la pression d’une partie de la classe dirigeante américaine qui veut stopper son rapprochement avec Poutine. Or Trump n’a pas d’états d’âme en la matière. Dans ce contexte, l’attaque chimique était une excuse commode pour façonner l’opinion publique et préparer une attaque.
C’était une manœuvre cynique et calculée dont le seul but est de défendre les intérêts de la classe dirigeante américaine et de ses alliés – et d’envoyer un message, en particulier à la Russie : l’impérialisme américain est toujours dans le jeu en Syrie. L’objectif est de diviser l’alliance Russie-Iran-Assad et préparer l’après-Assad. Tout cela ne signifie que la continuation de la guerre impérialiste et réactionnaire de laquelle ne sortira rien d’autre que plus de misère pour le peuple syrien.
Malheureusement, une grande partie de la gauche occidentale a pris le train en marche et se fait l’écho de la ligne de l’impérialisme et des médias de masse. Bien sûr, il n’y a rien de progressiste dans le régime d’Assad ou dans le sale jeu de la Russie en Syrie. Mais en essayant de s’opposer à ces puissances, certains se rangent dans le camp de la force la plus réactionnaire de la planète : l’impérialisme américain. En se hâtant de soutenir de tout leur poids le bombardement américain, ils semblent oublier que les interventions occidentales, sans exception, dans toute l’histoire du Moyen-Orient, ont mené à plus d’instabilité et de barbarie. Et pourtant, cette « gauche » ne critique pas les Etats-Unis parce qu’ils interviennent, mais parce qu’ils n’interviendraient pas assez !
La réalité, c’est qu’en l’absence d’un mouvement révolutionnaire basé sur la classe ouvrière, un renversement du régime d’Assad par les armées occidentales signifierait l’occupation de la Syrie par l’EI et les groupes liés à Al Qaeda (soutenus par les Occidentaux), qui n’ont d’ailleurs pas de désaccords majeurs avec l’EI. Le désordre barbare causé par l’intervention en Libye devrait être une leçon quant à la nature réactionnaire de ces interventions. Le peuple syrien en est bien conscient et, par défaut, cette attaque pourrait les souder derrière Assad.
La seule vraie solution est une position de classe indépendante claire. Les travailleurs et la jeunesse d’Occident qui veulent sincèrement mettre un terme à la misère et à la barbarie au Moyen-Orient, doivent dire clairement : l’ennemi est chez nous ! Les mêmes qui attaquent la classe ouvrière à l’Ouest, imposant chez eux la violence de l’austérité, le chômage et le recul des conditions de vie, tuent les masses travailleuses du Moyen-Orient depuis des décennies, si ce n’est plus.
Les puissances les plus réactionnaires au Moyen-Orient sont les impérialismes occidentaux et leurs alliés, qui veulent dominer, enchaîner et exploiter les peuples de cette région et qui s’adossent aux couches et aux groupes les plus arriérés et réactionnaires pour le faire. Sans le soutien de l’impérialisme, tous les groupes djihadistes et presque toutes les dictatures réactionnaires de la région s’effondreraient. En même temps, nous ne pouvons pas accorder notre soutien aux concurrents de nos impérialistes – à Poutine, à Assad et aux Mollahs d’Iran – qui sont plus que disposés à trouver un arrangement avec eux du moment que leurs intérêts sont protégés.
La crise au Moyen-Orient est le résultat direct de l’impasse du capitalisme, d’un système anarchique en crise profonde qui, dans sa « périphérie », s’enfonce dans la barbarie. L’intervention américaine en Syrie ne fera qu’aggraver les choses. Ce qui est nécessaire, ce n’est pas d’étendre la guerre au Moyen-Orient, mais de lutter chez nous contre notre classe dirigeante. C’est une classe qui ne joue plus aucun rôle productif, mais qui répand la terreur et la destruction partout.